Les multiples décisions rendues dans l’affaire Aristophil au cours du 1er semestre 2024 conduisent naturellement à s’interroger sur les recours des malheureux épargnants lésés.
Aristophil, fondée en 1990 par Gérard Lhéritier, proposait d’investir dans des manuscrits anciens avec des rendements alléchants de 8 % par an.
La société a acquis une vaste collection de lettres et manuscrits, revendus aux investisseurs en parts ou en pleine propriété.
Dès 2003, l’AMF a émis des mises en garde, mais Aristophil a poursuivi ses activités, attirant des milliers d’épargnants.
En 2014, une enquête pour escroquerie en bande organisée est ouverte,
suivie de perquisitions et du gel des comptes d’Aristophil.
Gérard Lhéritier et cinq autres personnes sont mis en examen en 2015 pour escroquerie, pratiques commerciales trompeuses et abus de biens.
Aristophil est placée en liquidation judiciaire, laissant plus de 18 000 épargnants avec des pertes estimées à 80 % de leurs investissements.
La collection Aristophil, surévaluée, est vendue aux enchères, aggravant les pertes des investisseurs.
Un procès est prévu en septembre 2025 à Paris, avec 4 772 parties civiles.
Sans attendre, l’automne de l’année prochaine, des investisseurs ont tenté de se retourner contre les banques et contre les intermédiaires qui leur avaient vendu le produit.
Les investisseurs lésés n’ont pas réussi à mettre en jeu la responsabilité des banques (même si l’on ignore si un pourvoi en cassation a été déposé).
La Cour d’appel a confirmé l’ordonnance de première instance, déclarant les demandes des appelants irrecevables pour défaut de qualité à agir, en raison du monopole du liquidateur judiciaire d’Aristophil.
La Cour a également jugé que l’action était prescrite, car les faits permettant d’exercer l’action étaient connus ou auraient dû l’être depuis plus de cinq ans (Cour d’appel de Paris, pôle 5, chambre 6, 24/04/2024, n° 23/06 465).
En revanche, les actions contre les conseils en gestion de patrimoine ont été,
dans l’ensemble, couronnées de succès.
En effet, les conseillers ont manqué à leur devoir de conseil et d’information en ne fournissant pas les renseignements nécessaires sur la nature, la consistance et la valeur des biens, ainsi que sur les risques induits par le produit Aristophil.
Les conseillers avaient l’obligation de fournir des informations complètes et précises
sur les caractéristiques essentielles des biens vendus, ainsi que sur les risques et aléas associés à ces investissements, conformément à l’article L111-1 I 1° du Code de la consommation (Cour d’appel de Riom, chambre commerciale, 18/09/2024, n°23/00818).
Ils devaient également s’assurer de la solvabilité des cocontractants et de la fiabilité de l’opération proposée, sous peine d’engager leur responsabilité contractuelle.
Plusieurs décisions de justice ont abordé les alertes émises par l’Autorité des marchés financiers (AMF).
La Cour d’appel de Riom, dans son arrêt du 12 juin 2024, a souligné que l’AMF avait,
par un communiqué de presse du 12 décembre 2012, appelé les épargnants à la plus grande vigilance concernant les placements atypiques tels que les lettres et manuscrits.
Cette alerte a été relayée par l’association UFC Que Choisir en 2011, rappelant une première alerte de l’AMF en 2007 et évoquant une possible bulle spéculative.
De plus, dans un autre arrêt de la même cour en date du 18 septembre 2024, il a été jugé que la société Atlantis 63, en tant que conseillère en gestion de patrimoine, aurait dû tenir compte de ces alertes et donc informer ses clients des risques inhérents aux produits Aristophil.
Pour se défendre, les conseillers n’ont pas hésité à soutenir que la procédure était prescrite, c’est-à-dire que les plaignants auraient dû se manifester dans un délai de cinq ans à compter de leur connaissance des faits.
Mais la Cour de cassation a jugé qu’il appartenait aux conseillers de montrer à quelle date les investisseurs lésés avaient pu avoir connaissance de faits (Cass. com., 24/01/2024,
n° 22-10.492, F-B : JurisData n° 2024-000403), preuve difficile à apporter.
Et certaines juridictions ont même jugé que le battage médiatique qui a accompagné
la découverte de la fraude n’était pas suffisante pour faire courir le délai de prescription.
Dans de nombreux domaines, des conseillers ou prétendus comme tels, vendent des produits sans s’interroger sur leur rentabilité réelle ni sur les risques afférents.
C’est ce que l’on voit souvent dans les opérations de défiscalisation (dont le cabinet s’occupe !).
Les pseudos conseillers sont ensuite condamnés.
Quoi de plus juste et de plus normal.
Par Thibault du MANOIR de JUAYE, Avocat à la Cour d’appel de Paris – www.france-lex.com et www.panglex.com