La Fondation Louis Vuitton a fait découvrir jusqu’au 31 août 2025, l’exposition David Hockney 25. L’artiste – qui fêtera ses 88 printemps cet été – s’est investi dans sa réalisation. Sublimant la vie et son impermanence au travers de ses œuvres, il clame fort : « C’est le maintenant qui est éternel. »
Couvrant sept décennies de création, l’éblouissant ensemble de 400 œuvres mis en lumière à la Fondation Louis Vuitton invite à une immersion profonde dans l’univers de David Hockney.
Désireux de partager son art, l’artiste a supervisé personnellement la conception
de chacune des onze salles données à voir jusqu’à la fin de l’été.
Un projet qui, en collaboration avec les équipes de la Fondation, lui a réclamé presque
deux années de travail, épaulé dans sa tâche par Jean-Pierre Gonçalves de Lima,
son compagnon et studio manager, ainsi que Jonathan Wilkinson, son assistant.

La perpétuation d’Une inlassable quête
Avec cette exposition d’envergure – la plus grande que David Hockney dit avoir jamais organisée –, le visiteur plonge avec bonheur dans son monde, remontant sans interruption le fil du temps, de 1955 à 2025.
Si les toiles des débuts, dont ses emblématiques piscines, en constituent l’une des clés d’entrée légitimes, elle s’ouvre peu à peu sur les vingt-cinq dernières années d’une œuvre qui se révèle extraordinairement prolifique et foisonnante, dans un continuum unique entre passé et présent.
Alors que le XXIe siècle boucle déjà son premier quart, David Hockney 25 est une rétrospective atypique, qui va résolument de l’avant : par et pour une figure majeure de l’art contemporain qui a choisi de montrer au monde qu’il poursuit inlassablement sa quête.
Un artiste qui a eu – et a toujours – une influence majeure dans l’art contemporain et que d’aucuns qualifient de plus grand peintre vivant.



Des visages aux paysages
D’abord chronologique, le parcours de visite se construit en posant des jalons spatiotemporels qui sont autant de pierres à l’édifice de sa longue carrière.
Grâce à ces repères tangibles, on suit avec facilité le dandy britannique dans ses pérégrinations d’un foyer artistique à l’autre : De Bradford à Londres (1955-1963) ;
Londres – Paris – Los Angeles (1964-1998) ; Retour dans le Yorkshire (1997-2013) ;
Quatre ans en Normandie (2019-2023)…
Dans une approche plus thématique, divers corpus, à l’instar de Portraits et fleurs
(2000-2025), complètent l’exploration de ces périodes phares qui sont traversées au cœur par ses sujets de prédilection : des visages aux paysages – proches, lointains, de tous bords, saisons et horizons – David Hockney transcende sans relâche le réel, sa passion.

« L’iPad est le nouveau carnet d’esquisses
du peintre. »
David Hockney (Le Figaro, 2010)


Sous le ciel de californie
En 1964, le dandy britannique s’installe à Los Angeles, subjugué par l’intensité de la lumière.
Dans une Californie affranchie, la libération de sa palette semble faire écho à celle de sa vie sentimentale, qui peut enfin sortir de l’ombre.
Alors que le Royaume-Uni, conservateur, n’a pas encore décriminalisé l’homosexualité,
il n’a plus à taire qu’il est gay.
Débarrassées du poids de la peur et du secret dans cet eldorado d’extravagance
et de tolérance, ses toiles expriment alors de façon plus explicite ses désirs intimes :
sous la douche, les draps d’un lit ou l’onde faussement étale d’une piscine lorsque la charge érotique jaillit d’une éclaboussure de peinture devenue littéralement fluide…
À un journaliste de Paris Match qui lui demandait, trente ans après sa découverte des bords du Pacifique, ce qui l’y a attiré comme un a(i)mant, la réponse de David Hockney fuse, comme une évidence : « Le climat, l’espace et le sexe. »



Luxe, calme et volupté
Réalisées à l’acrylique, ses emblématiques Swimming Pools incarnent à merveille l’hédonisme californien, dressant le portrait idéalisé d’une terre aussi ensoleillée que prospère.
Ses créations aquatiques sont aussi l’occasion de faire vibrer les étendues de bleu qui en sont les étendards dans l’imagerie populaire.
Ici, l’aplat du ciel répond à l’aigue-marine rafraîchissante des bassins où l’eau miroite, presque aveuglante.
Toujours en mouvement, le rendu de sa transparence représente un défi graphique,
celui de « travailler un sujet qui n’est pas là, ou presque totalement absent ».
Le souvenir de leur rencontre est tenace : avant d’atterrir pour la première fois dans la Cité des Anges, c’est depuis le ciel, survolant San Bernardino, que ces milliers de petits rectangles azur se sont figés dans la rétine de l’artiste tel un motif hypnotique,
une forme aux frontières de l’abstraction.



Patchworks géants
Les pigments purs avec lesquels David Hockney électrise les collines de Hollywood
ou le désert d’Arizona ont de quoi laisser sans voix.
À compter de la décennie 1980-1990, la nature devient on ne peut plus centrale dans le travail de celui qui « préfère vivre en couleur », comme en témoigne A Bigger Grand Canyon, 1998.
Cet immense panoramique de 7,44 m de long se compose d’un ensemble de 60 toiles qui, de format identique, juxtaposent simultanément plusieurs points de vue dans un esprit néo-cubiste.
Faisant fi de la perspective, l’œuvre se veut mère d’émotions, offrant le « frisson spatial » face à l’immensité du « plus grand trou du monde ».
Pour y parvenir, l’artiste pratique en amont un collage de différents clichés, la photographie, et tout particulièrement les polaroids, lui permettant de regarder le monde autrement.

do remember, they can’t cancel the spring
Pour Hockney, le paysage est tout sauf un genre mort, car l’œil ne saurait se lasser de l’exaltant spectacle offert par la nature.
Avec l’envie – et peut-être le besoin – d’en retrouver les subtiles variations, l’artiste quitte l’été sans fin de la côte ouest pour regagner l’Europe.
Il y poursuit l’exploration de points de vue familiers : la beauté austère du Yorkshire de son enfance et Londres.
Mais aussi la Normandie, son refuge durant le confinement, où il capte jour après jour, saison après saison, les mille et une variations de la lumière et de la végétation,
marchant dans les pas de Monet.
Alors que la pandémie fige tout, Hockney s’attache à saisir l’insaisissable mouvement de la vie.
Un regard (é)mouvant qui donne tout son sens à sa maxime qui, sous-titrant l’exposition, résonne tel un acte absolu de résistance : « Do remember, they can’t cancel the spring ».
Peints sur le motif dans sa propriété de La Grande Cour (laquelle est, en 2019, le sujet d’un panorama de 24 dessins à l’encre faisant écho à la tapisserie de Bayeux) ou repris ultérieurement (de mémoire) dans ses ateliers de Londres ou Los Angeles, pommiers, poiriers et cognassiers sont saisis sur l’instant dans une touche nerveuse dont le mouvement en virgule évoque la soif créative de Van Gogh.

Le passé nourrit le présent
Dans le même temps, établissant une boucle avec son Portrait of my Father (1955),
Mr and Mrs Clark and Percy (1971), Christopher Isherwood and Don Bachardy (1968) (…), Hockney poursuit le portrait de ses proches, à l’acrylique ou sur iPad, ponctué de plusieurs autoportraits.
L’exposition en compte une soixantaine en galerie 4, associés à des « portraits de fleurs » réalisés à l’iPad, mais insérés dans des cadres traditionnels.
Un procédé qui crée une symbiose amusante entre la tradition picturale et la modernité des outils du moment, dans un dialogue fécond.
De fait, le dernier étage est introduit par une série de reproductions remontant au Quattrocento constituant des références importantes pour l’artiste (The Great Wall, 2000).
La peinture de Hockney, qui se nourrit de l’histoire universelle de l’art depuis l’Antiquité, est centrée ici sur la peinture européenne, de la première Renaissance et des peintres flamands jusqu’à l’art moderne.
La première partie de la galerie 9 témoigne de ce dialogue avec Fra Angelico, Claude le Lorrain, Cézanne, Van Gogh, Picasso…
« Ce que j’essaie de faire, c’est de faire partager aux gens quelque chose, parce que l’art, c’est le partage. On n’est pas artiste si on ne veut pas partager une expérience, une pensée.»
David Hockney
Peindre l’opéra
Le public est ensuite invité à traverser l’espace d’une galerie-atelier transformée en salle de danse et de musique, comme David Hockney le fait régulièrement, accueillant chez lui musiciens et danseurs.
Passionné par l’opéra, Hockney a également souhaité réinterpréter ses réalisations pour la scène depuis les années 1970 dans une création polyphonique à la fois musicale et visuelle, en collaboration avec 59 Studio, enveloppant le visiteur dans la salle la plus monumentale de la Fondation (galerie 10).
Une salle intimiste clôt l’exposition, qui révèle les œuvres les plus récentes peintes
à Londres, lieu de résidence de l’artiste depuis juillet 2023 (galerie 11).
Celles-ci, particulièrement énigmatiques, s’inspirent d’Edvard Munch et de William Blake : After Munch : Less is Known than People Think, 2023, et After Blake : Less is Known than People Think, 2024, où l’astronomie, l’histoire et la géographie rencontrent une forme de spiritualité, selon les propres mots de l’artiste.
Il a souhaité y inclure son tout dernier autoportrait, exposé ici pour la première fois. Tout un symbole.
L’infatigable pionnier
L’exposition David Hockney 25 permet de saisir l’extraordinaire capacité de l’artiste à se réinventer à travers des nouveaux médias.
Malgré sa notoriété (le succès invite rarement à se transcender), il prouve qu’il n’y a pas d’âge pour apprendre et remettre sur l’ouvrage son métier.
Témoignant une curiosité jamais feinte ni éteinte pour l’innovation, l’infatigable pionnier
a toujours renouvelé ses modes d’expression pour traduire, à sa façon mais de mille manières, le réel.
D’abord dessinateur, passé maître dans toutes les techniques à commencer par les académiques (peinture à l’huile ou à l’acrylique, dessins à l’encre, au crayon et au fusain, gravure, aquarelle…), il a toujours été le champion des nouveaux outils (Polaroid, fax, photocopie, vidéo, ordinateur, iPhone, iPad…).
Suzanne Pagé, directrice artistique de la Fondation Louis Vuitton et commissaire générale, explique qu’il a « un formidable talent pour transcrire ce qu’il voit et inventer la solution plastique adéquate.
Il a utilisé très tôt et comme personne les possibilités offertes par l’iPhone puis l’iPad, faisant mettre au point un logiciel permettant de travailler traits, couleurs et formes de façon optimale et d’avancer aussi vite qu’il le souhaite.
En Maître des saisons, il peut ainsi en accélérer le cours, ajoutant à la nudité hivernale de l’arbre, si émouvante pour lui, autant de feuilles, branches et fleurs épanouies ou déjà
fanées ».
Ayant fait siennes les techniques les plus variées, en particulier numériques, la tablette est devenue un prolongement naturel du pinceau et du carnet de croquis, lui permettant d’envoyer quotidiennement par mail à ses amis les fleurs fraîchement dessinées.
Des œuvres lumineuses qui circulent ainsi librement, en marge du marché de l’art…
« Le temps qui passe, c’est la vie.
Et c’est ce que je peins ».
David Hockney (Beaux-Arts, 2021)
Une cote qui s’apprécie dans tous les sens du terme
Faut-il s’étonner que l’iconique Portrait of an artist (Pool with two figures), 1972, accroché en galerie 2, demeure à ce jour l’enchère la plus haute jamais enregistrée pour une œuvre de ce pilier de l’art d’après-guerre ?
Actuelle propriété de la Yageo Fondation Collection (Taïwan) qui la prête pour l’occasion, elle fut vendue par Christie’s New York pour 80 millions de dollars, en novembre 2018.
L’engouement pour la série des piscines, thème de loin le plus populaire (doublé ici d’un double portrait), ne date cependant pas d’hier : la base de données ArtPrice fait remarquer que, « déjà en 1989, Deep and Wet Water, une toile de 1971, avait atteint 1,3 million de $ chez Sotheby’s.
Il était alors le plus jeune artiste à avoir atteint le million de $ aux enchères ! », à seulement 34 ans.
Analysant sa cote peu avant que l’exposition de la Fondation Louis Vuitton n’ouvre ses portes, le leader mondial de l’information sur le marché de l’art le présente d’ailleurs comme « l’un des artistes les plus appréciés (dans tous les sens du terme) de notre époque », arguant que son marché a fait mieux que résister aux turbulences en 2024 : « il a surperformé, avec une hausse impressionnante de 54 % de la valeur de ses ventes aux enchères par rapport à l’année précédente.
Et sur une décennie, l’évolution est encore plus spectaculaire : +1 180 % de hausse de résultat entre 2014 et 2024, un véritable exploit qui place Hockney en tête de file dans un contexte pourtant difficile.
David Hockney s’impose comme l’un des 10 artistes les mieux soutenus par le marché.
Avec plus de 152 millions de dollars générés par la vente de ses œuvres en 2024,
il décroche la 7e place au classement mondial, parmi plus de 187 000 artistes passés sous le marteau l’an dernier ».
En 2023, Artprice notait que son indice des prix avait déjà flambé de + 562 % depuis le début du XXIe siècle…
Enchanter le monde
À l’instar de sa cote sur le marché, David Hockney serait un puissant antidote à la morosité. Bernard Arnault, en sa qualité de président de la Fondation Louis Vuitton, l’affirme : « Il rend optimiste ».
S’interrogeant sur les fondements de cette magie, il avance cette explication,
« paraphrasant Claude Monet : David Hockney maintient nos cœurs éveillés par toutes les couleurs de son silence.
Oui, voilà peut-être un sens à sa démarche (…) en regardant le monde, [il] nous place au centre de celui-ci, nous faisant retrouver à l’aide de ses yeux autant que de ses mains cette joie simple de l’arbre sous lequel on s’abrite au milieu d’une prairie, du canyon qu’on regarde en surplomb, du soleil dont on attend l’apparition à l’aube.
Par son regard, tout un monde se révèle : le sien, qui d’emblée devient le nôtre, celui de chacun d’entre nous.
C’est pour cela qu’il est un grand peintre, et un monument. L’art dont il a cherché patiemment à percer les secrets, et qu’il pratique aujourd’hui comme nul autre, est la leçon de toute une vie dédiée à la création, à la musique comme à la peinture (…)
Longtemps californien d’adoption, mais aussi français par deux fois – quand il vécut à Paris dans les années 1970, puis quand il passa plus récemment quelques années en Normandie –, David Hockney sait être de tous les univers et regarder le ciel depuis toutes les latitudes.
C’est pourquoi, certainement, toutes les générations peuvent regarder son œuvre,
car son art parle à tous. »









