Quel homme de bien n’a jamais rêvé de posséder un Monument Historique ? Folie dispendieuse, complexité fiscale, travaux sous contrôle permanent de l’État ? Éléments de réponse.

Hugues de Tappie
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Riche d’un patrimoine exceptionnel, la France compte environ 45 000 immeubles protégés au titre des Monuments Historiques, dont la moitié appartient à des propriétaires privés. Or, près de 40 % d’entre eux sont dans un état considéré comme défectueux, et 20 % sont carrément en péril.

Autant dire que s’offrir un Monument Historique est relativement aisé, ne serait-ce que si l’on est prêt à s’investir dans des travaux. Toutefois, ce statut est assorti de contraintes et d’avantages très spécifiques. Revue de détails.

 

Une fiscalité dérogatoire

D’un point de vue fiscal, le régime des Monuments Historiques est régi par les articles 156 et 156 bis du CGI. Pour les propriétaires occupants, il convient de distinguer deux cas :

– Si le bien est ouvert au public, 40 jours par an minimum, les travaux éligibles sont déductibles du revenu global (en réalité il s’agit alors d’un déficit foncier déplafonné), pour la partie ouverte au public.

– Si le bien n’est ni loué ni ouvert au public, seuls 50 % des travaux éligibles sont déductibles (du revenu global, mais pas des revenus fonciers). Sauf
si les travaux ont fait l’objet d’une subvention de l’administration des affaires culturelles. Auquel cas le montant total restant à la charge du contribuable est déductible.

Par travaux éligibles, il convient d’entendre la totalité des travaux si toutes les façades et toitures sont classées ou inscrites. À défaut, seules les parties protégées sont concernées. Les travaux d’agrandissement, de construction ou reconstruction, s’il y en a, ne sont pas éligibles.

Il n’y a aucun plafond. Si les travaux de restauration excèdent votre revenu imposable, le solde est reportable six ans. Les avantages fiscaux sont soumis à un engagement de conservation de 15 ans.

En matière successorale, la transmission est exonérée de droits si le bien est ouvert au public, au moins 60 jours par an, et que l’héritier passe une convention prolongeant cette ouverture.

Il existe aussi le cas des investisseurs se portant acquéreur d’un logement à usage locatif dans un Monument Historique appelé à être entièrement restauré, en copropriété et généralement en centre-ville. Pour peu que, après travaux, leur bien soit loué trois ans en location nue, comme pour les biens ouverts au public les travaux éligibles sont alors intégralement déductibles du revenu global. C’est ainsi qu’ont pu être sauvés de la ruine un certain nombre d’anciens couvents et hospices, notamment, accaparés par la République et détournés de leur fonction depuis la Révolution.

Des travaux très encadrés

Les monuments classés dérogent aux procédures du code de l’urbanisme. Les travaux de restauration sur un bâtiment classé sont soumis à l’accord de la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles), pilotée par l’ABF (Architecte des Bâtiments de France) départemental. De ce fait ils ne font pas l’objet d’un permis de construire, mais d’une autorisation de travaux.

Il convient d’adresser au STAP (Service Territorial de l’Architecture et du Patrimoine) du département un formulaire Autorisation sur Classés (AC).

Les monuments inscrits doivent également soumettre à la DRAC tout projet de restauration. Ce n’est que muni d’un APD (Avant-Projet Définitif) que le maître d’ouvrage pourra déposer un permis de construire en mairie.

Pendant toute la durée des travaux Monuments Historiques, le contrôle scientifique et technique de l’État s’exerce « sur pièces et sur place ». À l’issue des travaux, le maître d’ouvrage transmet au préfet un DDOE (Dossier Descriptif des Ouvrages Exécutés), qui donnera lieu à un certificat de conformité.

S’il ne joue plus le rôle de maître d’œuvre, l’ABF intervient avec un rôle de conseil et de contrôle.

Si, dans la majorité des cas, il n’y a pas de difficulté pour remplacer un élément existant détérioré, comme une fenêtre, toutefois, si celle-ci est très ancienne et qu’elle peut être restaurée, il faudra la conserver. Un double vitrage ne pouvant s’insérer dans la feuillure, une double fenêtre, en retrait, pourra être envisagée.

Et, d’une façon générale, si l’existant présente un intérêt particulier, mais peut ou doit être remplacé, un remplacement au plus proche des dispositions d’origine sera requis. S’il a été dénaturé, une restauration globale se devra de lui rendre son dernier aspect conforme. La France a ratifié la Charte de Venise, datant de 1964. En substance, celle-ci établit que, sur un Monument Historique, la restauration se fera « sur le respect de la substance ancienne ».

Concernant les intérieurs, selon qu’ils font, ou pas, l’objet d’une protection, les travaux afférents seront soumis ou pas à ces contraintes.

Pour la maîtrise d’œuvre, depuis 2009, un propriétaire privé peut faire appel à l’ACMH (Architecte en Chef des Monuments Historiques) de son choix, ou, même sur un bâtiment classé, à un Architecte du Patrimoine (DSA) ayant 10 ans d’expérience, après acceptation par la DRAC. Il soumettra à la DRAC, et donc à l’ABF, son projet. Contrairement à l’ABF, l’ACMH est un fonctionnaire d’exercice libéral.

Les immeubles étant rarement classés ou inscrits en totalité, il est fréquent qu’un architecte non spécialisé intervienne en parallèle, de façon à associer des compétences complémentaires, par exemple pour des aménagements techniques spécifiques, des parties neuves indépendantes ou pour assurer un suivi rapproché du chantier.

Concernant les abords des Monuments Historiques, jusqu’à la loi CAP de 2016 ils étaient protégés dans un rayon de 500 mètres. Depuis quelques années, des exceptions étaient toutefois possibles. Désormais l’exception devient la règle : les périmètres de protection autour des édifices nouvellement classés seront créés « par décision de l’autorité administrative, sur proposition de l’ABF ». À défaut, la règle des 500 mètres s’appliquera.

Un patrimoine à l’impact considérable

Nous l’avons vu, parmi les 45 000 immeubles protégés au titre des Monuments Historiques, environ la moitié appartient à des propriétaires privés, transformés de fait en
« Conservateurs bénévoles », et 20 % sont carrément en péril. Trois milliards d’euros seraient nécessaires pour entreprendre les travaux de première urgence rien que sur ces monuments en péril.

En cause notamment, les crédits du ministère de la Culture. Ceux affectés aux travaux de restauration des Monuments Historiques étaient de 540 M€ en 2000. En 2019, ils étaient de 326 M€. Dont environ 5 % affectés au patrimoine privé, en baisse de 60 % depuis 2000.

On voit bien que sans une fiscalité particulièrement incitative pour la restauration des Monuments Historiques, le combat serait perdu d’avance.

En 2019, un rapport de l’Assemblée nationale, établi par Gilles Carrez, établissait que la « dépense fiscale » liée aux Monuments Historiques était de 83 millions. Dont 40 millions pour ceux procurant des recettes (ouverts au public, ou mis en location après restauration). Une goutte d’eau dans l’océan des prélèvements obligatoires (plus de 1 100 milliards…).

En parallèle, il ressort d’une étude du ministère de la Culture que la restauration et l’ouverture au public de nos monuments, au sens large, entraînent des retombées économiques d’un montant de 21 milliards d’euros et représentent plus de 500 000 emplois directs et indirects.

Rappelons qu’avec plus de 90 millions de visiteurs étrangers en 2019, grâce notamment à son patrimoine inestimable, la France est le pays le plus visité au monde.

par Hugues de Tappie, dirigeant du cabinet Jedefiscalise.com