L’investissement immobilier familial prend souvent la forme d’une société civile composée avec un capital symbolique. On serait alors tenté d’y voir un outil infaillible de transmission immédiate…

 

L’illusion de la transmission « 100 % gratuite »

À l’occasion de l’achat d’un immeuble, il est classique que parents et enfants constituent ensemble une société civile, avec un capital social d’un montant dit « faible » (quelques centaines d’euros), favorisant ainsi l’accès des enfants à un statut d’associés égalitaires, voire majoritaires. L’objectif consiste ici à leur transmettre à terme une richesse, notamment si le bien immobilier s’apprécie dans le temps, en limitant le frottement fiscal. Cette technique n’est pas dénuée de fondement quand elle s’adosse à un investissement locatif : le loyer espéré a vocation à auto-financer les mensualités du prêt bancaire sollicité pour l’occasion.

Mais le raisonnement se complique lorsque les parents sont les principaux contributeurs d’une opération, telle que l’acquisition d’une résidence secondaire. En effet, qu’il s’agisse tantôt de l’apport initial pour s’acquitter du prix, tantôt du règlement des mensualités bancaires, ou encore du financement direct des travaux, dans tous les cas, il y a mécaniquement création d’un « compte courant d’associé ».

 

Une notion comptable impossible à éluder

Inutile de se convaincre du contraire tant sur le plan civil que fiscal : le compte courant d’associé existe ! Il forme à la fois une dette pour la société et une créance pour l’associé concerné. C’est donc une valeur patrimoniale à part entière qui doit être prise en considération dans le cadre d’une opération de transmission entre deux générations.

Le donateur doit prendre conscience que la transmission de ses parts sociales n’engendre pas automatiquement celle de la totalité du patrimoine sociétaire, mais avoir le réflexe de céder concomitamment son compte courant. Préconisée si le donateur souhaite conserver l’usufruit, une alternative consiste à incorporer préalablement ledit compte courant par augmentation de capital : les nouvelles parts sociales attribuées au titulaire du compte pourront, à leur tour, faire l’objet de la donation en nue-propriété. Sur le plan successoral, un compte courant d’associé doit être intégré à l’actif taxable, ce travail n’étant facilité que par la tenue régulière d’une comptabilité. À défaut, il y aura lieu de la reconstituer a posteriori au moyen de relevés bancaires ou de factures.

 

Une opportunité dans les familles recomposées

Dans le cas d’époux mariés tous deux en secondes noces, et ayant eu chacun des enfants au cours d’une précédente union, la mise en place d’une société civile entre eux sera de nature à concilier les intérêts opposés susceptibles de jaillir au premier décès.

D’un côté, la protection du conjoint survivant sera assurée par des règles statutaires strictes, telle que la possibilité pour lui d’agréer ou de refuser ses beaux-enfants désireux d’intégrer la société civile. De l’autre côté, il faudra parer à l’hypothèse du refus d’agrément. Dans ce cas, seule la propriété des parts sociales sera interdite aux ayants-droit, non le compte courant de l’associé décédé, dont le remboursement s’imposera. Pour permettre au conjoint survivant de faire face à ce poids économique, on conseillera en amont la mise en place d’un contrat d’assurance-vie à son profit. La perception du capital lui permettra ainsi de désintéresser les autres héritiers de la valeur du compte courant.

Maître Julien Trokiner
Dixsept68 Notaires – Paris & Lyon
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