Fini le « blues du businessman » qui « aurait voulu être un artiste » , voici l’avènement du « hard rock de l’entrepreneur » permettant de suivre sa musique vers de nouveaux projets – professionnels ou familiaux – et ce, au rythme d’une mélodie fiscale de faveur.
Avant-propos : l’éternel « Système D »
Évoquons d’abord brièvement le dispositif fiscal que tout entrepreneur bien conseillé est censé connaître lorsqu’il envisage de céder gratuitement tout ou partie de sa société à ses enfants à même d’en reprendre les commandes : le régime Dutreil.
À condition notamment pour ses protagonistes de pouvoir s’inscrire dans le temps (engagement collectif et/ou individuel de conservation de titres compris au total entre 4 et 6 ans), une donation intergénérationnelle est éligible à une réduction d’assiette taxable de 75 %, voire à des délais de paiement différé puis fractionné sur une quinzaine d’années.
Or, précisément, les propos qui suivent s’adressent à l’entrepreneur qui, confronté à une vente imminente de son entreprise, n’a pas, ou très peu, de temps.
Pour lancer ce concert patrimonial, en hauts décibels, mais avec pédagogie, branchons d’abord – et que les puristes de métal nous en pardonnent – le courant continu (DC/direct current) avant le courant alternatif (AC/alternative current).
« DC » pour « Donation-Cession »
Dans une telle situation, la première préconisation consiste, pour le dirigeant, à étudier l’opportunité de transmettre ses titres à ses proches – tels que son conjoint, ses enfants ou ses petits-enfants –préalablement à la vente de sa société à un repreneur.
Cette suggestion sera préférable au réflexe classique qui consiste, à tort, à vendre l’entreprise, avant de gratifier sa famille du prix de cession.
En effet, alors que la seconde hypothèse rend cumulativement exigibles l’impôt de plus-value et les droits de mutation à titre gratuit, la première solution, où la chronologie est inversée, est uniquement génératrice de l’impôt sur la donation.
Pour s’en convaincre, prenons l’exemple de Mister Angus qui envisage de céder la SARL
« Hells&Bells », spécialisée dans la destruction de guitares électriques, dont il est le fondateur, pour le prix de 666 K€.
Il projette ensuite d’en donner le fruit à ses trois enfants afin de favoriser leurs ambitions artistiques.
Or, telles que successivement programmées, ces opérations (nonobstant le cumul
de l’abattement de droit commun et celui spécifique de don de sommes d’argent) supporteraient une fiscalité importante, de l’ordre de 210 000 euros au global,
soit un net disponible d’environ 456 000 euros.
Cette situation est susceptible d’amélioration si l’on modifie l’ordre des opérations
(« donation puis cession ») !
Le prix de revient des parts sociales étant revalorisé entre les mains des enfants – lesquels revendront les actions pour la même valeur que celle figurant dans la donation – les plus-values latentes seront ainsi « purgées » et l’impôt éponyme neutralisé.
Il en résultera un « net en poche » d’environ 600 000 euros (après acquittement des droits de mutation à titre gratuit de 68 000 euros), soit un enrichissement des enfants augmenté de près de 150 K€ !
« Hard as a rock »
Afin d’être considérée comme solide comme la pierre, cette préconisation (« donation puis cession ») doit répondre une chronologie scrupuleusement respectée.
Ainsi, une remise en cause par l’administration fiscale serait à craindre dans le cas d’une donation intervenant, certes avant la vente, mais postérieurement à un protocole d’accord entre le cédant et le cessionnaire, considéré comme scellé au regard d’un accord ferme et définitif sur la chose et sur le prix, en l’absence de toute condition suspensive.
De même, la prudence consiste à s’assurer de la réelle intention de donner émanant du disposant. Cette volonté non équivoque doit se matérialiser par un appauvrissement réel du donateur et un enrichissement corrélatif du donataire.
Car toute réappropriation ultérieure en pleine propriété à son profit est susceptible de déclencher l’arrivée d’un personnage maléfique (« Boogie Man ») : l’abus de droit !
« AC » pour « Apport-Cession »
En marge de la donation d’actions réalisée, l’entrepreneur exprime souvent le souhait de conserver une marge de manœuvre substantielle afin de se consacrer à d’autres aventures entrepreneuriales.
Dès lors, à due concurrence, notre chef d’entreprise sera-t-il contraint de subir
immédiatement la fiscalité de la plus-value (comprise entre 30 % et 34 %) et donc d’entamer le budget dont il entendait doter une future entreprise ?
Un autre dispositif permet d’éviter cet écueil : l’article 150-0 b ter du Code général des impôts.
Il consiste pour le dirigeant cédant à placer sa plus-value en report d’imposition en apportant ses titres à une holding soumise à l’IS (phase « apport ») avant que cette dernière, à l’instar des enfants plus haut, ne les vende au tiers repreneur (phase
« cession »).
Afin de consolider cette plus-value placée en report, la holding aura notamment pour obligation de réinvestir un minimum de 60 % du produit de vente dans des activités économiques opérationnelles, et ce dans un délai maximum de deux ans suivant la
cession de l’entreprise.
Retrouvons Mister Angus optant finalement pour un panachage par moitié de ses actions, entre donation à ses enfants et apport à sa holding, la SAS « Back in Black », constituée pour l’occasion.
Sur la quote-part de produit de cession, soit 333 000 euros, revenant à la holding,
Mister Angus évitera une taxation immédiate de 100 000 euros au titre de la plus-value, en consacrant 200 000 euros à la reprise d’une société spécialisée dans la confection d’uniformes d’écolier.
« Rock or Bust »
L’attractivité du régime fiscal susvisé ne doit toutefois pas perdre de vue les quelques pièges à éviter pour le rendre pleinement efficace.
En premier lieu, on aurait tort de confondre « report » d’imposition et « effacement » de l’impôt de la plus-value.
En effet, si le législateur rend possible le décalage de l’impôt, c’est essentiellement pour permettre à l’entrepreneur une utilisation maximale de la trésorerie dont dispose sa holding, son nouveau projet bénéficiant ainsi d’une surface d’investissement élargie.
Un avantage loin d’être négligeable lorsque le recours à l’emprunt bancaire n’est plus considéré comme la panacée en temps de hausse des taux.
Il faudra donc bel et bien payer l’impôt un jour… Toutefois, l’effacement total et définitif de l’impôt de plus-value placée en report reste possible si le dirigeant procède, à terme, à une transmission à titre gratuit des titres de sa holding.
Celle-ci pourra indistinctement prendre la forme d’une cession entre vifs (donation) ou à cause de mort (succession), et même se cumuler avec les avantages du régime Dutreil susvisé si les conditions requises sont réunies.
En second lieu, l’attention du dirigeant devra impérativement être attirée sur la notion « d’activité économique éligible » au remploi des 60 % du prix de vente afin de bénéficier de l’article 150-0 b ter, son champ d’application s’entendant assez restrictivement.
En substance, le dirigeant aura le choix, via sa holding, entre procéder à des investissements directs (acquisition de titres d’une société opérationnelle, ou souscription de titres nouveaux, comme lors d’une augmentation de capital) ou à la souscription de parts de fonds de capital-investissement (tels que FCPI ou FCPR).
À ce sujet, notons que le dirigeant qui aurait pu anticiper sa cession future, en apportant ses titres à sa holding plus de trois ans avant leur cession, serait lui dispensé de toutes ces contraintes de réinvestissement.
Ainsi, pour éviter l’autoroute vers l’Enfer (« Highway to Hell ») fiscal, il est suggéré d’emprunter des chemins de traverses, certes longs et sinueux, mais qui peuvent conduire au sommet de l’optimisation (« It’s a long way to the Top »), en toute légalité.
Par Maître Julien Trokiner, Dixsept68 Notaires – Paris & Lyon.
http://www.1768notaires.fr