La propriété de chevaux de courses n’est pas réservée aux très grosses fortunes. Elle ne se limite pas non plus à l’achat et à la pension de compétiteurs. Avec du temps, un peu de chance et de patience, cet investissement-plaisir peut donner quelques fruits. À condition de respecter certaines règles simples.
Le cheval est comme la voile : un sport de milliardaire dont on ressort millionnaire. »
La boutade entendue ici et là dans des PMU, des haras ou sur des champs de course vaut pour ceux qui cèdent à une passion qui peut vite devenir ruineuse. Mais, comme l’art, cet investissement-passion peut vous récompenser si vous parvenez à céder à cette tentation sans y abandonner votre raison. Vous rejoindrez alors le cénacle des quelques 11 500 propriétaires de chevaux français, comme très récemment Kylian Mbappé, qui ont récolté environ 800 millions d’euros de gains en 2019, répartis pour moitié entre trotteurs,
ces chevaux attelés à un sulky où se pose un « driver », et galopeurs sur plat ou course d’obstacles.
« La propriété de chevaux de courses, de compétiteurs ou de reproducteurs, ressemble beaucoup à un placement en Bourse ou en Private Equity » pose Jean-Pierre Barjon, créateur de la limonade Lorina, président du Trot français (LeTROT) depuis 2013 et heureux propriétaire d’une quinzaine de trotteurs et de poulinières. « Il faut savoir gérer ses émotions et considérer ces animaux comme des actifs à part entière, ne pas oublier qu’avec eux l’aléa est permanent » poursuit-il. Thomas Bernereau, un jeune courtier de 35 ans, ne dit pas autre chose (voir interview) : « Il faut savoir acheter et surtout savoir vendre ».
Pas question non plus d’y aller comme au casino
Tous deux, comme d’autres propriétaires et courtiers, insistent sur un point fondamental : ceux que la beauté que dégage un cheval ou une jument laisse insensibles doivent rester à l’écart de ce monde. Tout comme ceux que l’art barbe. Pas question non plus d’y aller comme au casino et de tout miser sur une seule bête comme on parierait sur le noir ou le rouge à la roulette. « Il s’agit d’une piste de diversification de son patrimoine qui doit s’envisager sur au moins sept ans » suggère Jean-Pierre Barjon.
Un autre courtier, Christian Le Barbey, enfonce le clou : « N’investissez jamais au-delà de vos moyens ». Fataliste, un autre propriétaire entonne le fameux poème de Rudyard Kipling : « Si tu es capable… ».
« Prenez le temps de vous rendre sur un hippodrome, d’assister tôt le matin, surtout en hiver, à des séances d’entraînement, pour vous imprégner de l’atmosphère unique de ce milieu. La propriété de chevaux de courses est une activité ou un placement auquel il faut accepter d’accorder du temps » reconnaît Clément Porcher, chez France Galop.
Davantage que la compilation de données sur leurs résultats en course ou leurs origines, des performances des 3 000 entraîneurs licenciés, des éleveurs (…), ces déplacements sur les champs de course, les écuries ou les paddocks seront autant d’occasions d’engranger des contacts, des expériences, des conseils, de trier le bon grain de l’ivraie des tuyaux percés, d’apprendre à repérer les vendeurs ou leurs rabatteurs pressés de se débarrasser au prix fort d’une « carne » et de « mettre une pancarte » à un amateur candide.
Ne vous lancez pas seul dans cette aventure
Assurez-vous aussi que vous remplissez les conditions légales pour devenir propriétaire. D’abord, vous ferez l’objet d’une enquête de moralité. Ensuite, vous devez justifier de revenus suffisants pour pourvoir à l’entretien d’un tel animal, soit au moins 30 000 euros annuels. Avant enfin d’ouvrir un compte chez France Galop ou LeTROT, sur lequel seront versés vos éventuels gains.
Surtout ne vous lancez pas seul dans cette aventure : sollicitez quelques amis sûrs (évitez les copains de zinc), aptes à devenir vos associés tout au long de cet investissement. Leurs opinions, complémentaires de la vôtre – ou leurs réticences – constitueront autant d’aides à la décision pour affiner votre projet, définir vos horizons de placement et un budget pour l’achat, la carrière sportive et la reconversion de vos chevaux.
Voire de tester jusqu’où va votre goût du risque. « L’association permet de mutualiser les frais mais aussi une multiplication des satisfactions, de partager les risques sur plusieurs chevaux en constituant un portefeuille de plusieurs chevaux ou de participations dans plusieurs étalons et juments qui s’aligneront en galop et en trot attelé » suggère Thomas Bernereau.
Et de conseiller « d’éviter les grosses structures avec plusieurs dizaines d’associés qui n’auront qu’une relation lointaine et indirecte avec les entraîneurs et les éleveurs.
La réussite d’un partenariat entre les propriétaires et ces derniers dépendra de la fréquence et de la qualité de leurs échanges, de leur transparence ». « Une visioconférence ne remplacera jamais une discussion franche sur le terrain où évoluent vos chevaux » rajoute un entraîneur. N’oubliez pas non plus que certaines dépenses imprévues, comme certains soins vétérinaires, imposent des décisions rapides, plus faciles à prendre en petit comité.
Quant à choisir entre l’association ou l’écurie de groupe, mieux vaut opter pour la première option pour une meilleure liquidité de votre placement. En effet, celle-ci vous permet de devenir propriétaire direct d’une partie ou de « pattes » d’un cheval que vous pourrez revendre plus facilement que des parts d’une société détentrice de ces actifs.
Détecter une jument ou un étalon
avec le moins de défauts possibles
Laissez à un courtier le soin de choisir le bon cheval. Vous rechignez à rémunérer un intermédiaire ? Rassurez-vous : les commissions qu’il perçoit lui sont versées par le vendeur. Son réseau de professionnels lui permettra de détecter une jument ou un étalon
« avec le moins de défauts possibles », selon le mot de Christian Le Barbey. Ses conseils seront d’autant plus précieux que 40 % des quelques 14 000 chevaux naissants chaque année en France s’aligneront au départ d’une course, et seulement trois ou quatre deviendront des cracks.
Ce partenaire membre de l’ACT (Association des Courtiers au Trot) se déterminera en fonction du pedigree, du physique, de son potentiel sportif. Ce qui ne vous dispense pas de faire preuve de vigilance, vous et vos associés. « Ne réglez ni ne signez rien tant que vous n’aurez pas un contrat mentionnant le nom et l’identification officielle du cheval, son prix, le nom et l’adresse du vendeur. Achèteriez-vous une voiture sans sa carte grise et son certificat de contrôle technique ? » reprend-il.
David Salabi, associé-fondateur de Cambon Partners, un cabinet qui accompagne des start-up, et propriétaire d’un haras en Normandie, fait établir un contrat indivis pour chacun des chevaux que son haras hébergera (voir interview). Quant aux relations avec l’entraîneur ou l’éleveur, fixez-les dans un document officiel qui cadrera les droits et obligations de chacune des parties.
Les gains sont exonérés d’impôts et de TVA
Quant au coût d’un tel investissement, vous devrez distinguer le prix d’achat et la pension d’un cheval. Sa valeur dépendra de son âge, de son physique, de son potentiel, de la qualité de ses ascendants mais aussi de ses collatéraux : ses frères, sœurs et cousins.
On distingue les « foals » ou jeunes poulains et pouliches de moins de un an, les yearlings entre un et deux ans, les chevaux pré-entraînés, et ceux à la veille de leurs premières compétitions, les pré-qualifiés, les compétiteurs et les chevaux de reproduction.
Le ticket d’entrée démarre à 1 000 euros… pour dépasser parfois plusieurs centaines de milliers d’euros aux ventes de Deauville, les galopeurs étant plus demandés que les trotteurs.
« Avec quelques associés et 15 000 euros, vous pouvez obtenir un yearling. Rappelez-vous que plus votre budget est élevé plus vous pourrez sécuriser vos investissements », avance Thomas Bernereau.
N’oubliez pas non plus l’entretien de votre « poulain », soit en moyenne 2 000 euros par mois, frais de compétition compris (transport, droits d’inscription, etc.). Cette somme variera à la hausse ou à la baisse s’il est en pension en région parisienne ou en province. Dernier poste : l’assurance dont la prime sera étalonnée par sa valeur, son usage et les options que vous rajouterez, soit entre 1,5 et 10 % voire plus de son prix, avec un minimum de 250 euros annuels. Vérifiez aussi que vos garanties couvrent le vol, un risque que certaines compagnies ne prévoient pas.
Quant aux gains glanés en course, un propriétaire peut s’estimer chanceux s’il compense les frais engagés pour aligner ses chevaux. Heureusement, il peut compter sur d’autres sources de revenus comme les saillies. S’agissant du fisc, une fois n’est pas coutume,
il ménage les propriétaires amateurs intervenants (qui fixent des directives à l’entraîneur
à qui ils ont confié leur chevaux) ou non intervenants.
Les gains sont exonérés d’impôts et de TVA, mais les déficits ne peuvent être imputés
à vos revenus. Les plus-values de cession sont exonérées et ne sont pas imposées si elles ne dépassent pas 5 000 euros. Mieux, après deux ans de propriété, elles bénéficient d’un abattement de 10 % par année de détention, tout comme certains frais inclus dans une liste très limitative.
Considérée comme un bien meuble, cette plus-value sera frappée d’un impôt de 19 %
et d’un prélèvement social de 17,2 % si la revente intervient dans les deux ans (12,8 % d’impôt et 17,2 % de prélèvement social après abattement si elle se produit après deux ans).
> Évitez le marché des embryons intéressez-vous à celui de la reproduction
Ce serait, à en croire certains de ses promoteurs, la martingale idéale pour gagner beaucoup sur le marché des courses : la vente sur des plateformes en ligne de parts en échange tous les ans d’un d’embryon congelé d’un crack croisé avec les ovules d’une jument « aux excellents papiers », le tout inséminé chez une « mère porteuse » pour la gestation d’un futur champion.
Les prix, martelés sur divers sites web pour la plupart enregistrés offshore, défient toute concurrence : au moins 7 750 euros par embryon congelé, parfois plus de 30 000 euros. Sauf que la réglementation française interdit ce procédé extrêmement compliqué sur le territoire national pour la reproduction de trotteurs et de galopeurs, et n’autorise que la monte naturelle sur le lieu de résidence de l’étalon. La fécondation par embryons n’est admise que pour les chevaux de jumping. In fine, cette interdiction préserve l’écosystème du trot et du galop français parce qu’elle empêche toute prolifération de surdoués qui plomberait leur cote. Cela dit, le marché de la reproduction, par des poulinières et des saillies, présente beaucoup d’atouts pour un investisseur qui peut acheter des parts, donnant droit à une saillie par unité. Sachant qu’un étalon peut monter deux cent fois en France et autant à l’étranger… pour un tarif qui peut atteindre jusqu’à 40 000 euros la saillie ! L’investissement est vite amorti. Tout comme celui dans une poulinière, même si elle ne mettra bas qu’un petit par an.
> Le partage des gains
Chaque course, de galop ou de trot, est dotée d’une allocation globale, le montant des prix distribués entre les cinq premiers arrivés (voire les sept premiers en cas de Quinté+) variant en fonction de leur classement.
La répartition sera la suivante : 50 % pour le premier (45 % dans un Quinté+), 20 % au second (25 %), 15 % au troisième (14 %), 10 % au quatrième (8 %), 5 % au cinquième. Les sixième et septième de la course ne seront rémunérés que s’il s’agit d’un Quinté+ : respectivement 2 et 1 %.
Ces sommes seront majorées par la prime au propriétaire, calculée selon l’âge du cheval. Trois catégories les distinguent : ceux de deux à trois ans bénéficient d’une majoration de 60 % de leurs gains, de 45 % pour ceux de quatre à cinq ans, et de 35 % pour ceux de plus de six ans.
Imaginons que votre cheval de trois ans gagne un Quinté+ doté de 60 000 euros. Sa première place vous permet d’en récupérer 45 %, soit 27 000 euros. À ce total s’ajoutera la prime au propriétaire de 60 % de 27 000 euros, c’est-à-dire 16 200 euros. En définitive, la performance de votre monture vous rapportera 27 000 + 16 200 = 42 200 euros.
Cette somme ne reviendra pas intégralement dans votre poche.
Le driver ou jockey percevra 8,5 % du gain total (dont 1,5 % alimentera la caisse de compensation des jockeys), soit 3 323,84 euros, et l’entraîneur 14 %, soit 5 474,56 euros. Quant à l’heureux propriétaire du crack, ces déductions faites, il aura donc gagné 29 328 euros. Avant que ces gains ne soient amoindris par les prélèvements fiscaux et sociaux,
ainsi que les frais de pension de cette monture prodigieuse.