Selon la légende, la colline de l’Hermitage fut plantée par les Grecs il y a plus de 2500 ans, ce qui consacrerait ce vignoble mythique comme le plus vieux de France. Avec, en prime, un superbe patrimoine à la vue imprenable sur le fleuve qui coule en bas. Sur ces coteaux escarpés qui surplombent le Rhône, entre Lyon et Valence, on y cultive et concocte des vins d’exception alliant puissance et fraîcheur qui méritent le détour… et même leur prix en ces temps de récession.
D’abord un peu d’histoire avant de trinquer et de déguster…
Sous les Romains, amateurs de bons vins, on les connaît – comme d’ailleurs leurs voisins de la Côte Rôtie – sous le label géographique de « Vins de Vienne ». Ensuite, ils se différencient en portant le nom de « vins du coteau de Saint Christophe » en raison de la présence d’une chapelle dédiée au saint en question et édifiée au XIIIème siècle.
Légende ou réalité ? Le nom d’Hermitage ne serait apparu qu’au XVIIème siècle, en hommage au chevalier Henri Gaspard de Sterimberg qui, au XIIIème siècle, au retour des croisades albigeoises, décida de vivre en ermite sur cette colline ensoleillée au pied du Rhône et cédée par Anne de Castille, reine d’Espagne. Il y aurait réimplanté sur les trois mamelons de la colline un vignoble à grand renfort de Syrah mais aussi pour les blancs de Roussanne et de Marsanne qui, au fil des temps,a pris successivement l’appellation d’Ermitage, puis d’Hermitage.
Succès immédiat jusqu’à la cour de Russie
La réputation de ces vins rares et élégants ne se fait pas attendre et n’a guère eu besoin à l’époque de marketing sophistiqué, car les déguster et les boire c’est les adopter et le faire savoir. Le seul moyen de résister à la tentation de ces vins aux tannins veloutés c’est d’y succomber. Elle est confortée au XVIème siècle lorsque les vins rouges et blancs ont été introduits à la cour des Valois par le cardinal François de Tournon.
Ils sont « tendance » comme on dirait aujourd’hui et débarquent sur la table des grands de ce monde. On raconte que sous le règne de Louis XIV, lui même grand amateur de cet envoûtant breuvage rhodanien, l’Hermitage était le vin préféré des tsars, notamment Nicolas II, le dernier des Romanov et empereur de Russie. Preuve de cette notoriété selon Boileau, du faux Hermitage se servait même dans le meilleur cabaret de Paris, à la taverne de la Pomme du Pin tenu par Crenet, près du pont Notre-Dame.
« Un laquais effronté m’apporte un rouge bord
D’un Auvergnat fumeux, qui, mêlé de Lignage,
Se vendait chez Crenet pour vin de l’Ermitage,
Et qui, rouge et vermeil, mais fade et doucereux,
N’avait rien qu’un goût plat et qu’un
déboire affreux ». (Boileau, « Le repas ridicule », Satire III, 1663)
Henri IV et Louis XIII comme Boileau et plus tard Alexandre Dumas étaient eux aussi des inconditionnels de ce vin d’exception qui obtint son AOC en 1937. Elle délimite sur la rive gauche du Rhône un coteau de 135 hectares exposé plein sud et bénéficiant d’un micro-climat car protégé des vents du Nord et du Mistral. Installée essentiellement sur la commune de Tain l’Hermitage, l’AOC Hermitage déborde selon l’INAO sur un quartier de Crozes-Hermitage et sur celui de Larnage, donc en partie sur deux autres communes de la Drôme.
Le terroir de base granit et morènes, résultat d’une évolution géologique complexe, donne plusieurs types de sols. Sur ce terroir étroit et majestueux à la fois, constitué d’arêtes granitiques recouvertes de micaschistes et de gneiss ainsi que de plages de cailloux ronds, les géologues distinguent quatre types de sols, à savoir :
1 – sols liés aux terrasses fluviales du Rhône,
2 – sols sablo-caillouteux perméables des basses terrasses du würm,
3 – sols issus ou liés au granite porphyroïde de Tournon,
4 – sols brun jaunâtre issus ou liés aux Loess.
Aux XVIIIème et XIXème siècles, les vins rouge de syrah sont expédiés par le canal du Midi à Bordeaux pour « hermitager » les vins médocains, en leur apportant de la couleur et du corps, notamment pour la clientèle anglaise qui risquait de les trouver trop clairs. Jules Guyot, en 1867, leur attribue toujours « une solidité et une longévité remarquables ».
Dès 1816, A. Julien dans sa « Topographie de tous les vignobles connus » classe dans ses éditions successives par trois fois en 1ère classe les vins rouges, blancs et de paille de l’Hermitage.
L’AOC Hermitage produit en effet un vin de paille étonnant mais confidentiel, vinifié à partir des cépages blancs de l’appellation et élevé pendant un an et demi avant sa commercialisation. Nous avons eu l’occasion de déguster le millésime 2000 de la Cave de Tain qui allie fraîcheur et rondeur sans saturer le palais en sucre résiduel (225 g par litre au minimum dans les moûts). Un véritable nectar qui séduit par sa finesse, sa complexité et la bonne maturité du raisin.
Pour être agréés, les vins rouges ou blancs de l’AOC doivent provenir de moûts contenant un minimum de 170 g de sucre résiduel par litre.
On divise classiquement la colline de l’Hermitage en trois mamelons ou parties. En partant de l’ouest sur la rive gauche, se dresse les Bessards, terroir granitique et fort accidenté qui est considéré comme le terroir de prédilection du cépage Syrah et des rouges avec, entre autres, le célèbre vignoble de l’Ermite et surtout de la mythique Chapelle de l’Hermitage.
Ensuite, le mamelon central se divise en deux : sur la partie supérieure, dite le Méal, le sol est calcaire et siliceux avec en surface des galets roulés. On y produit les vins les plus solaires de l’AOC grâce notamment à une exposition plein sud. Sur le bas, la terre des Greffieux, issue de ravinement, est relativement plus fertile. Enfin, les quartiers des Murets et des Dionniers bénéficient d’un sol argileux et d’une pente plus douce.
La Cave de Tain l’Hermitage en « leader »
Propriétaire de 21 hectares dans l’AOC Hermitage, la Cave de Tain l’Hermitage en est l’un des principaux producteurs et le seul à être implanté sur la grande diversité des terroirs de cette appellation. Les parcelles de vieilles vignes situées sur ces terroirs d’exception (Les Bessards, Gros des Vignes, L’Hermite, Le Méal, Les Greffieux, La Beaume, Les Murets, La Croix, Les Signaux et L’Homme) sont particulièrement choyées. Elles permettent à la Cave d’élaborer des vins de garde issus de ces sélections parcellaires, comme le fameux Hermitage rouge Gambert de Loche dédié au fondateur humaniste de la Cave et dont elle a repris le vignoble en 1967. Sur ces vignes escarpées et plantées en terrasse, le travail est entièrement manuel. C’est là entre ciel, mistral et Rhône, que la Syrah donne le meilleur d’elle-même, la colline étant son berceau d’origine.
Un bel exemple de ce 100 % syrah est l’Hermitage Monier de La Sizeranne Chapoutier rouge 2000 en magnum que nous avons dégusté avec notre ami Vincent Bricout, secrétaire général de l’Académie du Goût. Signe particulier de cette bouteille au vin étonnant : depuis 1996, toutes les étiquettes sont transcrites en braille. Le nom de cette cuvée n’est d’ailleurs pas anodin : il marque un hommage à Maurice Monier de la Sizeranne, propriétaire de la parcelle de l’Hermitage Monier de la Sizeranne, également inventeur de la première version de braille abrégé.
Cet Hermitage est fait pour être un vin de longue garde. Cuvée élégante, qui développe un nez puissant révélant la mûre et la myrtille, cette syrah s’affirme peu à peu, laissant la place à des notes fumées et épicées qui dans un second temps laissent la place aux fruits noirs. Ainsi, ce vin de garde gagne en ampleur marquant alors sa solide structure. L’équilibre est parfait entre puissance et finesse. En bouche, l’attaque est ample et grasse avec une puissance qui développe un volume impressionnant.
Les millésimes les plus recherchés pour ces vins à la fois denses et aériens de l’Hermitage au rendement moyen de 37 hl/ha sont aussi bien en rouge (71 % de la production de l’AOC) à la robe pourpre et aux tannins imposants à base de syrah qu’en blanc (29 %) sec à la belle couleur dorée et issu de cépages marsanne et roussanne : 1990, 1995, 1999, 2000, 2001, 2002, 2003, 2004, 2005, 2009, 2010… Avec l’apport de ses adhérents, la Cave de Tain vinifie 27 % des 135 hectares de l’appellation Hermitage (rouge et blanc).
Depuis dix ans, les évolutions de la Cave se sont structurées autour d’une démarche de développement durable : la totalité du vignoble est déjà en agriculture raisonnée et en conversion bio pour partie. Un diagnostic de la biodiversité vient d’être réalisé par le Conservatoire Rhône-Alpes des Espaces Naturels sur les six territoire de la Cave.
Car là aussi les viticulteurs de la Cave de Tain jouent leur rôle de « leader » et d’acteur historique de la région dans la préservation des terroirs, même si parfois l’on se perd un peu devant certaines cuvées génériques de leur vaste gamme. En revanche, son Hermitage Au cœur des Siècles blanc 2009 est séduisant et élégant avec des fines notes de raisin sec et d’amandes grillées.
« Le chantre de l’Hermitage »
Le domaine Jean-Louis Chave (10 ha de syrah pour les rouges ; 5 ha – 80 % marsanne et 20 % de roussanne – pour les blancs) est une propriété emblématique de l’Hermitage. Dans cette famille, on est toujours vigneron de père en fils… depuis 1481.
Ces vinificateurs hors norme y concoctent des vins puissants, élégants, riches qu’on s’arrache à prix d’or et au goutte-goutte (à l’unité).
Jean-Louis Chave est donc tombé dans la barrique dès l’enfance et son père Gérard surnommé « le chantre de l’Hermitage» lui a progressivement passé les commandes de ce domaine réputé par sa grande régularité et ses vins de haute volée, même dans les petits millésimes. Ce n’est pas pour rien que Jean-Louis le fils porte le même prénom que son grand père, comme pour signifier la continuité dans la tradition qui n’exclut pas la modernité…
Les vignes sont âgées de soixante ans en moyenne. Les rendements sont très bas, la vendange est tardive pour attendre la maturité parfaite des raisins. Ces derniers sont vendangés et élevés séparément. L’assemblage n’est réalisé qu’en finale pour ne produire essentiellement que deux vins – mais quels vins ! – un rouge et un blanc. L’Hermitage blanc Jean-Louis Chave est un assemblage de roussanne et de marsanne issu des terroirs Maison Blanche, Peléat, l’Hermite et les Roucoles. L’Hermitage rouge est élaboré à partir des raisins des Bessards, Le Méal, l’Hermite, Peléat et les Roucoles. Seul le meilleur est utilisé avec le souci du perfectionnisme et de la rigueur. Tout ce qui n’est pas de niveau suffisant pour ces perfectionnistes qui ont placé la barre très haut est revendu au négoce.
Certaines années, le domaine Jean-Louis Chave propose la cuvée Cathelin (2 500 bouteilles), un nectar aussi rare que concentré à l’incroyable longévité dont nous vous recommandons les millésimes 2003 et 1998… si vous réussissez à vous en procurer. Cette cuvée exceptionnelle qui se mérite tire son nom de l’artiste Bernard Cathelin, un ami de la famille Chave qui a dessiné l’étiquette de cette cuvée qui vit le jour en 1990.
Après avoir fait ses premières armes au Château La Lagune dans le Haut Médoc, l’œnologue Caroline Frey s’occupe désormais du prestigieux domaine Paul Jaboulet Aîné (6 générations de vignerons), après le rachat de la maison par sa famille de banquiers.
Avec en prime la cuvée mythique : La Chapelle. Elle a réussi avec maestria le saut d’obstacle et le grand écart entre Bordeaux et Tain l’Hermitage.
« Je suis tombée sous le charme de la colline de l’Hermitage», déclare volontiers Caroline Frey. «Notre cuvée phare La Chapelle est, elle aussi, malgré la dominante syrah un assemblage de plus de quarante terroirs de ce lieu unique. C’est un vin complet, puissant et élégant qui a une belle et longue histoire. » Moralité de notre périple en Hermitage : un grand vin nous parle et raconte la passion des hommes accrochés à leur terroir.