Selon une malencontreuse expression populaire, la possibilite de donner à ses enfants serait limitée à « une fois tous les 15 ans ». Cette idee recue mérite d’être démentie.
Le piège d’une terminologie équivoque
Cette expression n’est évidemment rien d’autre qu’une confusion entre le « droit de donner » et la possibilité de transmettre sans acquitter le moindre centime d’impôt, grâce à l’utilisation d’une franchise d’assiette fiscale : l’abattement légal. Depuis le début des années 2000, tandis que son montant a plusieurs fois varié pour être finalement porté à 100 000 euros, son « cycle de renouvellement » a, quant à lui, oscillé entre 6 et 10 ans, avant d’être fixé à 15 ans. Une telle durée confine véritablement à une « petite éternité » lorsque l’on sait que la réussite d’une transmission familiale repose sur la récurrence intensive du traitement patrimonial. En conséquence, au même titre qu’une donation s’analyse comme un acte altruiste, une gestion optimale implique souvent un sens du sacrifice, celui de franchir volontairement la « ligne jaune » de l’abattement. Certes, dans cette hypothèse, l’impôt devient exigible, mais ce sera d’autant moins à payer plus tard. Tordons donc le cou à cette idée reçue selon laquelle la solidarité entre parents et enfants doit obligatoirement s’inscrire dans dans le cadre d’un plan quindécennal.
Pourquoi remettre à 15 ans ce qui peut être donné aujourd’hui
Illustrons le propos par un exemple. M.X a 68 ans. Profitant de l’embellie des marchés boursiers, il a récemment réalisé une opération de donation pré-cession, au profit de ses trois enfants, portant sur 300 000 euros de titres cotés. Il a ainsi bénéficié à la fois d’une purge complète de ses plus-values latentes et à une transmission en totale franchise de droits de mutation à titre gratuit. Désormais retraité, il projette une donation en nue-propriété de son appartement parisien, d’une valeur vénale de 1,5 million d’euros, et dont il est disposé à ne toucher que les loyers. Doit-il pour autant attendre 15 ans ? Que nenni ! Une opération immédiate génèrerait une importante diminution d’assiette taxable, en l’occurence de 40 %, si l’on tient compte de la valorisation de son usufruit liée à son âge. Certes, elle enclencherait une imposition de 175 000 euros environ. Mais dans 15 ans, la récupération des abattements serait tout juste suffisante pour compenser la minoration de l’usufruit (passé de 40 % à 20 %) lié au vieillissement de M.X, alors âgé de 83 ans. Et un raisonnement a fortiori s’impose même si l’on anticipe une augmentation du marché immobilier dans le même intervalle.
Savoir prendre date et profiter des opportunités
Bien sûr, la notion de rappel fiscal concerne aussi l’utilisation des tranches du barême progressif pour le calcul de l’impôt. Mais le fait d’avoir profité de l’abattement légal au cours des 15 années passées n’est en rien une fin de non-recevoir à un nouveau projet de donation. De deux choses l’une. Ou bien le donateur décède dans les 15 ans de sa dernière donation, et le choix d’avoir « remis aux calendes grecques » son autre projet s’avèrerait rétroactivement inopportun ; ou bien il survit au-delà de ce seuil temporel, et cet abattement, désormais réactivé, serait utilisable pour donner autre chose, et à défaut dans le cadre d’une succession future.
D’une manière générale, une transmission anticipée – même génératrice d’impôt, est favorable à une succession. Transmettre en pleine propriété n’est-il pas synonyme d’économie annuelle d’ISF pour le donateur ? En prenant date tôt dans le patrimoine du donataire, la transmission n’est-elle pas de nature à limiter le coût fiscal d’une plus-value future ? La prise en charge des droits de mutation par le donateur n’est-elle pas fiscalement optimisante ? Les donations de moins de 15 ans réalisées avant la loi TEPA (août 2007) ne recèlent-elles un reliquat d’abattement caché ? La loi de finances pour 2015 ne contient-elle pas des abattements temporaires (pour les terrains à bâtir et les logements neufs à usage d’habitation) déconnectés de l’abattement légal déjà utilisé ?
par Maître Julien Trokiner, Notaire à Paris