En un peu moins de vingt ans, la marque née de l’atelier de restauration d’horloges et de montres créé par Michel Parmigiani s’est hissée au firmament de la qualité horlogère suisse. Aujourd’hui, son actionnaire majoritaire, la Fondation de Famille Sandoz, détient un groupe industriel qui fournit tous les grandes marques les plus prestigieuses de montres. Tout en se construisant une personnalité très affirmée.

Au pays du secret bancaire, la discrétion est une vertu. La Suisse regorge ainsi de grandes entreprises qui répugnent à faire parler d’elles : Rolex, Nestlé, Novartis ou Pilatus. Hormis la seconde et la troisième, les autres rechignent à livrer le moindre signe sur leur santé financière. Parmigiani Fleurier ne fait pas exception.

La plus jeune des manufactures de haute horlogerie nationale oppose une fin de non-recevoir affable mais ferme à toute demande de données comptable. Mais il suffit de visiter les ateliers de l’entreprise pour comprendre instantanément ce qui fait sa force : une volonté constante et régulière de se hisser vers les sommets de l’excellence. Inexistante il y a près de vingt ans, la marque appartient désormais au club très fermé des horlogers suisses maîtrisant toute la chaîne de leur production, avec Rolex et Swatch Group. Mais entre ces deux géants et la benjamine du trio, tout est affaire d’échelle : seules 6 000 montres Parmigiani Fleurier sont vendues chaque année, entre 6 000 et plus de 800 000 euros. Il n’empêche : les vis, rouages, engrenages et autres tourbillons de ses ateliers animent les mécanismes et mouvements de marques plus que prestigieuses : Richard Mille, Louis Vuitton, Chopard, etc. « Notre outil de production est volontairement surdimensionné afin de disposer de la plus grande qualité. Nous produisons l’équivalent de 500 000 mouvements par an. Il nous faut donc vendre ce qui ne nous sert pas.

Cette stratégie marche parce que nos clients n’ont pas besoin d’effectuer des contrôles-qualité à la réception des pièces que nous expédions » insiste Benoît Conrath. Ce quinquagénaire dynamique et passionné, horloger de formation, résume en trois phrases ce qu’est Parmigiani Fleurier.

Parmi3Parmi4Cette distinction se démontre en quelques points. Comme chez n’importe quel horloger, l’esthétique prime. Chez Parmigiani Fleurier, les formes sont sensuelles, douces, généreuses. Idem pour les couleurs. Les orfèvres de Les Artisans Boîtiers et de Quadrance, savent saisir ce petit rien, cette nuance qui signera en un quart de millième de battement et ad vitam æternam, le cachet particulier d’un garde-temps. Même et surtout quand il s’agit de plancher pour une légende de l’automobile (cf. Encadré). Davantage, ces experts gardent toujours à l’esprit que le résultat de leurs efforts doit s’emboîter sans éclat dans une chaîne de talents. Il en va de même pour les décolleteurs d’Elwin qui livrent les micro-vis (considérées comme les meilleures du monde) ou certains outils. Les uns et les autres, et en particulier chez Atok Alpa (créateur de rouages, etc.), apportent un soin presque obsessionnel à la beauté de leurs composants. Qui pourtant resteront invisibles car enchâssés dans un habitacle hermétique et opaque. « Ce n’est pas parce qu’une pièce ne sera pas vue qu’elle ne doit pas être belle, insiste Benoît Conrath. Le soin qu’un ouvrier ou qu’un horloger lui consacrera garantira la qualité et la précision de la montre. Et sa pérennité. Cela va rassurer son propriétaire ». D’où des rouages et balanciers jusqu’à tente fois plus chers que chez les fournisseurs lambda du secteur. D’où le soin apporté pour restituer la pureté d’un carillon enchâssé dans un coffrage étanche et résistant aux moussons d’hiver du Sud-Est asiatique.

Sans-doute tout ceçi explique-t-il aussi pourquoi certains modèles reçoivent une lunette transparente qui permet à leur propriétaire d’admirer les battements du cœur de son « bébé ».

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« À leur tour, ils deviennent les meilleurs ambassadeurs de nos savoir-faire » se réjouit Benoît Conrath. Mesure et démesure : le slogan qu’adopte la manufacture colle parfaitement à son ADN. Tout comme la mention « Fleurier », ce gros et charmant village du Jura Suisse où siège paisiblement la manufacture d’assemblage. Là-bas, la lenteur suisse prend tout son sens. Mais elle n’a rien de suranné. « On ne fait pas les choses lentement, mais doucement. Et sérieusement » précise Jean-Marc Jacot (voir interview), l’énergique et très chaleureux directeur général de cette marque d’exception. Qui il y a encore vingt ans n’existait pas.

Certes, l’acte fondateur de l’entreprise remonte à 1976. Cette année-là, Michel Parmigiani monte à Fleurier son atelier de restauration d’automates, d’horloges, de pendules et de montres d’exception. À l’époque, le pari apparaît osé. Car l’horlogerie suisse n’a pas cru aux montres à quartz. Au contraire de ses rivaux nippons qui inonderont le monde avec leurs toquantes à affichage digital. Les aiguilles et autres trotteuses semblent alors condamnées. Dans le Jura suisse, les manufactures et leurs sous-traitants débauchaient à tour de bras. À tel point, se souvient Benoît Conrath, qu’il fut un temps envisagé de supprimer les formations au décolletage, une activité indispensable aux industries mécaniques. Il faudra attendre le coup de génie de Nicolas Hayek avec ses Swatch rigolotes et en plastique pour que la Suisse regagne le terrain perdu.

Michel Parmigiani traverse ces années sans trop subir la crise. Jusqu’en 1996, année de la fusion entre les laboratoires pharmaceutiques Ciba-Geigy et Sandoz pour donner naissance à Novartis. Les frères Landolt, héritiers du fondateur du second créent une fondation de famille pour gérer leur participation dans ce géant. Mais aussi pour investir dans des entreprises qui qui pérennisent et développent le savoir-faire helvétique. Les protestants et l’artisan-horloger s’accordent : l’atelier rejoint le giron de la FFS. Avec une feuille de route limpide et ambitieuse : créer des collections complètes de montres contemporaines pour une clientèle à la recherche d’instruments d’exception.

Production, réseau commercial, recrutements, construction de l’identité etc. : tout doit être créé ex-nihilo car en 1996 Parmigiani Fleurier se résume à un gros atelier. Qu’importe, Jean-Marc Jacot et ses équipes se fixent une ligne claire : la marque ne pourra exister que si elle se hisse parmi les meilleurs et si elle peut démontrer qu’elle est 100 % Made in Suisse. Mais pas à n’importe quel prix. « Les Landolt sont conscients de leurs devoirs. Pour eux, l’argent n’est pas un tabou mais un levier. Quand ils investissent dans un projet, le message qu’ils délivrent est très clair : il n’est pas question de mener la grande vie. Chaque franc suisse doit-être dépensé avec raison et mis au service de la stratégie. Exclusivement et uniquement dans ce but » prévient un banquier genevois les connaissant.

Parmi6Le pari est tenable à condition de passer sous les fourches caudines de deux géants incontournables : Rolex ou Swatch. Car dans « ce métier de pure logique qu’est la haute horlogerie » selon le directeur de la filiale dédiée d’un géant du luxe français, personne ne peut se passer de l’un ou de l’autre à toutes les étapes de la fabrication d’un garde-temps. « Ceux qui ont tenté le pari s’en sont mordu les doigts : les substituts ne pouvaient ni garantir la qualité ni tenir les délais » se souvient-il.

Qu’importe pour Parmigiani Fleurier. Le fondateur repère les meilleurs des sous-traitants encore indépendants. Jean-Marc Jacot et ses équipes se chargent des transactions commerciales. Conclues parfois au prix de compromis surprenants à l’heure du village global. Ainsi, la logique commanderait de rapatrier à Fleury ou à La Chauds-de-Fonds (ou siègent LAB et Quadrance), les ateliers d’Helwin, Atok Alpa ou Vaucher. Mais voilà : les horlogers et techniciens suisses ou frontaliers tiennent par-dessus tout à rentrer déjeuner chez eux « On ne soupçonne pas notre attachement à nos terroirs » sourit Jean-Marc Jacot. Au bout du compte, la stratégie se révèlera payante puisqu’aujourd’hui l’entreprise est devenu le troisième fournisseur suisse de composants, tourbillons et autres mouvements, employant 350 spécialistes sur un total de 600 salariés.
« Les cinq entités qui composent la manufacture sont dédiées en premier lieu à leur marque sœur, Parmigiani Fleurier » s’enthousiasme Benoît Conrath.

Cette verticalisation de la production ne s’est-elle pas faite au détriment de l’expansion commerciale ? Les chiffres apparaissent cruels et sans appel au premier abord : seulement quatorze points de vente détenus en propre dans le monde entier. Sur un total de 350 détaillants proposant les montres de l’horloger. Parmigiani s’est « hâté lentement » avec une progression en trois étapes. La marque s’est d’abord reposée sur un noyau d’apporteurs d’affaires qui ont démarché les collectionneurs pour leur démontrer son savoir-faire. Avant de s’entendre avec des distributeurs régionaux et locaux. Puis de créer ses propres filiales et d’ouvrir ses propres boutiques. Et sur ce point, Parmigiani Fleurier montre qu’elle n’est « ni plus forte ni moins bonne mais simplement différente des autres », selon la formule qui fait florès avec un concept unique : des comptoirs de vente entourés d’un atelier de restauration offert à la vue des clients. Tout comme l’envers de certaines des montres est doté d’une lunette de verre pour voir son cœur battre.

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> Naissance d’une montre exceptionnelle la Bugatti Super Sport

Parmi9On la reconnaît au premier coup d’œil. Elle rappelle de manière plus que subliminale les Veyron et autres Mulsanne qui marquent la renaissance du constructeur mythique, aujourd’hui rapatrié chez l’allemand Volkswagen. La Parmigiani Fleurier Bugatti Super Sport semble prête à bondir. Si l’emballage séduit les esthètes, le contenu lui a de quoi fasciner les collectionneurs. Car le premier a conditionné le second et vice-versa. Pour les bonnes fées qui se sont penchées sur son berceau, ce défi illustre parfaitement l’esprit et la méthode Parmigiani Fleurier.

« Nous voulions transformer l’essai du garde-temps Bugatti 370 dont le design était déjà très typé, repenser son mouvement » se souvient Alexia Steunou, l’une des quatre designeuses de Parmigiani Fleurier. Assistée de Chloé et de Bastien un jeune horloger tout juste diplômé, l’équipe se met au travail.

Et contacte Bugatti qui planche alors sur la future Mulsanne. Emballé par ce projet, le constructeur lui envoie en express… un échantillon du cuir anthracite et du fil orange de la sellerie de son cockpit !

L’équipe décide de s’inspirer du prototype Atalante imaginé par le constructeur en 1935. L’ennui, c’est qu’il ne reste aucun exemplaire de cette auto mythique. Le studio de design ne pourra s’inspirer que de photos noir et blanc. D’où une première contrainte : quelle couleur donner au cadran : crème de menthe ou une teinte métallique comme le suggère le fond iconographique de l’horloger ? Jean-Marc Jacot et Michel Parmigiani tranchent pour la première option et chargent Quadrance de dessiner les cadrans.

Un premier jet est soumis au comité Produit, où siègent aussi la directrice marketing, Clothilde Nicolescu et le directeur des opérations. Le verdict est sans appel : l’esquisse est surnommée « Toblerone ». « Le dessin était trop anguleux et trop trapézoïdal » se souvient Alexia Steunou. Michel Parmigiani insiste sur le côté félin et musclé des autos bleues d’Ettore Bugatti.

Parmi8L’équipe revoit sa copie : une aile d’avion comme les flancs avant de l’Atalante avec une horloge inclinée à 45 degrés et un chronographe à 30 degrés. Des butées en formes de corne renforcent l’air félin de la montre. Et lui éviteront de tourner autour du poignet de son propriétaire. Les experts de Vaucher déploieront des trésors d’imagination pour insérer le mouvement dans son boîtier. Et résoudront, en liaison avec les designers, les contraintes liées à l’industrialisation. Validée par la direction, la montre reçoit l’imprimatur chaleureux de Bugatti.

Produits en titane, en or blanc et rose, avec un bracelet en croco bleu fourni par Hermès, les 110 exemplaires de la Parmigiani Fleurier Bugatti Super Sport s’écouleront très vite. Malgré un prix élevé : 250 000 euros en moyenne ! La manufacture ne compte pas en rester là et honorer une fois de plus sa devise, « Mesure et démesure », puisqu’une autre Concept Montre devrait être présentée pour célébrer les dix ans du partenariat conclu avec Bugatti en 2004.