Tout est prétexte à la fête et à se faire plaisir pour célébrer Noël et bien démarrer la nouvelle année. Il s’agit ici de trinquer en bonne compagnie et à grand renfort de flacons de rêves achetés à prix d’or et qu’on débouche pour les grandes occasions.

 

Bien sûr, le grand écrivain américain Jay McInerney exagère sans doute un peu lors d’une dégustation en aveugle à New-York d’un Château Haut-Brion 1982 en déclarant qu’il y joue sa vie ou du moins sa réputation de dégustateur passionné. Mais, comme certains d’entre nous, cet amateur éclairé se souvient encore de sa première gorgée de Mouton-Rothschild ou de son premier verre de Puligny-Montrachet dégusté en 1985 à l’occasion de son anniversaire. Son mot d’ordre auquel nous souscrivons volontiers : le plaisir et au diable les convenances. Il ne s’agit pas ici de vous faire boire des étiquettes hors de prix mais plutôt de vous raconter les histoires et les coulisses des vins rares et chers, voire mythiques, qu’on n’a guère l’opportunité de goûter tous les jours. Tout en précisant avec la bénédiction des chercheurs, qu’autant qu’avec la langue et le palais, nous goûtons avec nos attentes et nos croyances. D’où l’intérêt de la dégustation à l’aveugle…

« Pour entrer dans les détails», explique Jay McInerney qui soutient que le vin est une expérience esthétique, «un Haut-Brion bien mûr sent la boîte à cigares contenant un Montecristo, une truffe noire et une brique chauffée à blanc et posée en équilibre sur une vieille selle. Il est profond et complexe comme un sonnet de Shakespeare. Une fois qu’on en a bu, on ne l’oublie plus jamais et le désir d’en reboire ne nous quitte plus ».

La Romanée Conti «un vin sphérique»

Vin de légende qu’on ne présente plus, la Romanée Conti n’est produite qu’à 5 000 à 6 000 bouteilles par millésime. Par exemple, 5 489 flacons ont été concoctés en 2005, moins en 2008, plus en 2009.

Situé sur la commune de Vosne-Romanée, entre Gevrey et Vougeot, ce grand cru couvre une surface de 1 814 hectares qui ne paie pas de mine de prime abord. Ce qui fait dire à Stendhal : « Sans ses vins admirables, je trouverais que rien au monde n’est plus laid ». Ce vignoble mythique bénéficie d’un drainage naturel et de présence d’argile. Avec un rendement de 30 hectolitres environ à l’hectare.

« Sa taille n’a pas varié d’un centimètre depuis 1580 », précise son propriétaire, Aubert de Villaine, qui administre le prestigieux domaine avec Henri F. Roch. En revanche, les vignes – dont on a constaté alors que les racines s’enfonçaient à un mètre de profondeur – ont été arrachées en 1945 afin de les replanter. Ce qui explique qu’on ne trouve pas de millésimes de Romanée Conti entre 1946 et 1951.

Bouteille-de-Romanée-Conti« Un grand vin se fait avant tout à la vigne. Nous sommes les gardiens d’une certaine philosophie du vin : nous cultivons le souci de la perfection du détail et de l’excellence » déclare-t-il avec modestie. Il décrit sa Romanée Conti Grand Cru comme « un vin sphérique qui dégage une grande puissance agrémentée de douceur ».Si on a le privilège d’en déguster une gorgée, on n’est pas près de l’oublier…

Classée parmi les Grands Crus de la Côte de Nuits, elle est considérée comme le plus grand vin de Bourgogne. Car elle exprime toute la quintessence complexe de son cépage roi, le pinot noir. Un miracle de finesse et d’équilibre sur tous les crus et tous les millésimes qui sidère le plus blasé des dégustateurs. Cette régularité dans l’excellence fait la fierté de Bernard Noblet qui veille sur la cave de la Romanée Conti. Bien sûr, ce nectar de la vigne qui vaut de l’or suscite bien des convoitises car la demande dépasse l’offre et les contrefaçons sont hélas tentantes. L’appellation eut l’honneur des communiqués en 2002 lorsque Claude Simonet, alors président de la Fédération Française de Football, passa en note de frais une bouteille de ce vin facturée à 4 800 euros dans un restaurant coréen, au moment de la débâcle de l’équipe de France à la Coupe du monde de football.

S’en offrir une seule bouteille tient du parcours du combattant car il ne suffit pas d’ouvrir les cordons de sa bourse : comptez de 1 500 à 10 000 euros si vous voulez vous faire plaisir au sein d’un restaurant étoilé de la Côte d’Or.

Les deux administrateurs du domaine veillent à la commercialisation en première main de leurs précieuses bouteilles en décourageant les spéculateurs et en privilégiant les amateurs éclairés et les sommeliers des bonnes tables.

Il faut montrer patte blanche pour obtenir une allocation auprès du domaine, c’est-à-dire trouver une place sur la liste d’attente des acheteurs pour avoir une chance de goûter au futur millésime. Depuis une dizaine d’années, ils ont abandonné le système de la caisse panachée de 12 bouteilles du domaine dont une de Romanée Conti Grand Cru pour un système plus aléatoire allant de 11 à 13 bouteilles en fonction des quantités produites à chaque millésime.

La caisse panachée de 13 bouteilles (La Tâche, Echezeaux, Richebourg, Romanée Saint Vivant, etc.) du millésime 2006 a été proposée courant 2009 au prix de 5 596 euros en primeur plus port, ce qui fait de la Romanée Conti le vin rouge le plus cher du monde.

En mars 2005, six magnums de Romanée Conti ont été adjugées 134 315 euros lors d’une vente à New-York. Une bouteille (75 cl) du millésime 2005 était en vente aux Galeries Lafayette à Paris pour 18 000 euros. Contre cette tendance à la surenchère des prix, il est à noter qu’en 2000 la caisse panachée de 12 bouteilles du millésime 1997 était vendue par le domaine autour de 3 000 euros.

Il reste que la cote actuelle aux enchères d’un flacon de Romanée Conti 1990 est de 7 256 euros, selon la cote des vins diffusée par le site ideawine.com. En 2010, le site Wine Searcher qui possédait plus de 800 références le classait au premier rang des 50 vins les plus chers au monde avec un prix moyen de plus de 8 000 dollars US (6 150 euros), tous millésimes et marchands confondus dans le monde.

Château-Mouton-Rothschild

 

Pétrus, le vin culte des Kennedy

Peu réputé avant la seconde guerre mondiale, Petrus, sous l’impulsion d’une femme dynamique Edmonde Loubat et de la famille Moueix, est devenu un mythe qui a ses entrées chez les grands de ce monde depuis le couronnement de la reine Elisabeth d’Angleterre en 1952. Il était le vin fétiche du clan Kennedy qui appréciait son élégance tout en retenue. C’est aujourd’hui le vin de Bordeaux le plus cher… bien que ne participant à aucun classement en tant que Pomerol.

Cultivé sur 11,5 hectares (9 fois moins grand que Lafite) d’argiles noires favorables à l’expression du merlot (95 %)et bénéficiant du drainage naturel du bassin de la Barbane, ce vin d’exception en tire sa complexité, sa tension et sa rareté. Au total : 54 000 bouteilles d’un vin élevé 21 mois en fûts de chêne neufs.

Depuis 1964, l’œnologue basque Jean-Claude Berrouet – qui a passé le témoin en 2008 à son fils Olivier – l’a fait progresser en style tout en retenue avec notamment une étonnante finale florale et lui a permis ainsi de s’affirmer sur la scène internationale malgré des écarts selon les millésimes.

Le prix primeur HT du millésime 2011 s’établissait à 1 080 euros. Un grand millésime (1982, 1989, 1990, 1995, 2001, 2005, 2010) peut aller jusqu’à 5 000 euros, voire 15 000 euros pour un millésime exceptionnel de 1946 ou 1962. Lors de récentes ventes aux enchères, une bouteille de Pétrus 1982 a été adjugée 2 400 euros tandis que le millésime 1986 partait à 1 050 euros.

Voisin de Cheval Blanc et de Figeac, Château La Conseillante fait des merveilles sur son terroir d’un seul tenant. Avec Jean Michel Laporte comme directeur technique et l’œnologue Jean-Claude Berrouet comme consultant, Pétrus n’a qu’a bien se tenir car son style raffiné et sensuel s’inscrit dans la lignée des plus grands pomerols. Son cru 2010 au nez de violette est à la fois profond et élégant et malgré son potentiel de garde peut se boire dès maintenant. Il n’en est pas de même pour le second vin rouge de Château Haut-Brion (Pessac Léognan), Clarence
(2009 environ 150 euros) dont les tannins aux arômes remarquables devraient donner leur plein épanouissement dans une dizaine d’année. En revanche, son autre second vin en blanc La Clarté de Haut Brion (2010 à 100 euros) peut se boire dès maintenant.

Chateau-Petrus-wijngaardDepuis son rachat par la famille Mentzelopoulos en 1977, Château Margaux (252 ha) a retrouvé toute sa superbe et fait l’unanimité. Son millésime 2009 (900 euros environ chez les cavistes) séduit par l’harmonie de la texture de ses tanins et la richesse aromatique de sublimes cabernet-sauvignon dominant dans l’assemblage d’une précision diabolique. C’est sans doute le cru plus réussi de ces dernières décennies.

Il devrait atteindre son apogée vers 2025. Le Margaux Pavillon Rouge (130 euros environ), second vin, est de belle tenue et d’un excellent rapport qualité prix. Lors d’une récente vente aux enchères, une bouteille de Château Margaux 1986 a été achetée 290 euros.

Cheval Blanc Saint Emilion Grand Cru 2010 (900 euros) vaut le détour par son grand style avec des notes florales en nez et en bouche et son équilibre parfait. Son second vin au prix raisonnable, Petit Cheval 2010 (170 euros) est précis sur le fruit avec beaucoup de fraîcheur. Le prestigieux domaine – où le cabernet franc est dominant (60 % contre 40 % merlot) – a été racheté en 1998 par Bernard Arnault et l’homme d’affaires belge Albert Frère et est administré par Pierre Lurton qu’on ne présente plus. Un mathusalem (6 litres de contenance) Cheval Blanc 1947 (millésime du siècle) a été adjugé pour 304 375 dollars (223 967 euros) chez Sotheby’s le 16 novembre 2010. C’était à l’époque la bouteille la plus chère jamais vendue aux enchères. Lors d’une vente aux enchères en juin 2013, une bouteille de Cheval Blanc 1990 a été achetée 450 euros.

Nous avons goûté récemment Château La Tour du Pin Saint-Emilion Grand Cru 2010 (27 euros) qui est le premier millésime vinifié par l’équipe de Cheval Blanc. Ce vin qui devrait atteindre sa plénitude vers 2020 est bien fait avec des tannins soyeux et une finale subtile.

À l’entrée sud du village de Saint-Emilion, Château Ausone a placé la barre très haut sous l’impulsion de son propriétaire Alain Vauthier. Ses grands crus 2009 (1 900 euros chez les cavistes) et 2010 (1 500 euros) sont au-dessus de tout soupçon avec une grande allonge persistante comme d’ailleurs le 2005 et le 2001. Son second vin, La Chapelle d’Ausone vaut le détour par sa finesse à un prix beaucoup plus doux.

Château Lafite-Rothschild à Pauillac produit des vins d’esthète aux notes sublimes de cèdre avec des assemblages à 90 % de Cabernet Sauvignon. Son second vin, Les Carruades est bien apprécié en Asie, notamment le millésime 2009.

Le grand vin de Château Latour cher à François Pinault atteint des sommets sous la férule de Frédéric Engerer. Le 2009 séduit par le velouté de ses tannins uniques et la gourmandise de sa bouche.

Le mythique Château d’Yquem (et son admirable Sauternes 2009 à environ 850 euros chez les cavistes) tend à toujours plus de fraîcheur et de finesse aromatique tout en continuant sa politique viticole sans concession ni compromis. Mais sous l’impulsion de Bérénice Lurton, Climens, leader incontesté des vins de Barsac, lui tient désormais la dragée haute à des prix attractifs (2009 aux environs de 110 euros) en jouant sur son sol calcaire qui lui distille une belle acidité.

« À genoux et tête découverte », c’est le rituel bourguignon selon Alexandre Dumas pour apprécier à sa juste valeur le fameux Montrachet (Joseph Drouhin Marquis de Laguiche Grand Cru 2010 : 375 euros) joyau de la Côte de Beaune qui n’en produit sur 8 hectares à peine plus de 45 000 bouteilles que se disputent une quinzaine de propriétés.

Enfin, on frise la perfection sur la colline de l’Hermitage avec la cuvée Cathelin produite seulement les années jugées exceptionnelles (2003 et 2009 pour les plus récentes) du domaine Jean-Louis Chave qui sublime le terroir des Bessards en exprimant la quintessence des tannins avec une longueur envoûtante en bouche. Chapeau bas !

Clos d’un jour (7 ha) à Duravel est devenu une référence Cahors en tirant l’appellation vers le haut. Véronique et Stéphane Azémar prouvent depuis 2000 que la valeur n’attend pas le nombre des années. Avec eux, l’imagination est au pouvoir et au service de la qualité. La preuve : l’étonnante cuvée de rouge Un Jour-sur-Terre, élevée comme au temps des Romains dans des jattes en terre cuite, ne manque pas de caractère avec ses notes de chocolat et de violette.