Si la langue de Shakespeare regorge de « faux amis », notre jargon juridique n’a rien a lui envier. Ainsi, le « quasi-usufruit » – vrai ami de l’organisation patrimoniale – ne se définit pas comme un « presque-usufruit », mais confine à une pleine propriété dont il faut maîtriser les grands principes.

 

Quid Juris ?

Pour déchiffrer la notion de quasi-usufruit, il existe un préalable nécessaire : connaître le démembrement de propriété. Celui-ci, qui résulte fréquemment d’un processus de transmission à titre gratuit (donation, succession ou clause-bénéficiaire de contrat d’assurance-vie), opère une distinction entre usufruitier et nu-propriétaire, tous deux propriétaires « à temps partagé » d’une même chose, mais n’exerçant pas la plénitude de leurs prérogatives respectives au même moment. Alors que l’usufruitier bénéficie de l’usage et/ou des fruits au cours d’un espace-temps défini (viager ou temporaire), le nu-propriétaire se profile comme un propriétaire absolu du futur, si tôt l’usufruit éteint.

De fait, d’un coup baguette juridique, l’usufruitier – une fois « promu » quasi-usufruitier – se voit endosser le costume d’un propriétaire à part entière, incluant la liberté de consommer, en tout ou partie, la substance même de la chose, sans avoir à en référer au nu-propriétaire, et avec pour seule limite une obligation de restitution. En pratique toutefois, cette restitution ne constitue pas un inconvénient de vie majeur pour le quasi-usufruitier puisqu’elle n’interviendra qu’à son décès, de surcroît souvent en faveur de ses propres héritiers. Auparavant, ces derniers (initialement nus-propriétaires) s’étaient alors techniquement délestés d’une détention capitalistique au profit d’une créance, à l’image d’un boursicoteur échangeant ses actions contre des obligations…

Le Code civil instaurant l’automaticité du quasi-usufruit chaque fois que « l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage, sans les consommer, comme l’argent (…) » (on parle alors de quasi-usufruit légal), il n’est pas rare de constater qu’un quasi-usufruitier n’a lui-même pas conscience de son statut protecteur !

C’est l’exemple classique du conjoint survivant qui, bénéficiaire d’un usufruit, ignore tout de son droit d’utiliser entièrement les comptes-espèces et livrets d’épargne dépendant de la succession de son époux. Mais un quasi-usufruit résulte aussi de la volonté des parties, technique patrimoniale bien connue du Notariat.

 

Usufruitier et … quasiment pauvre ?

La préconisation d’un quasi-usufruit conventionnel trouve son fondement dans la réalité économique du moment : plafonnement des retraites, perte de rentabilité des investissements immobiliers locatifs, effritement de la rémunération du fonds euros des contrats d’assurance-vie… En effet, à l’heure de son veuvage, le conjoint usufruitier craint légitimement une baisse globale de son niveau de vie, conséquence directe des faibles revenus de son patrimoine et de l’interdiction théorique de « toucher au capital » destiné à ses enfants nus-propriétaires. Pour répondre à cette problématique, et dès lors qu’il porte sur des choses fongibles et consomptibles, un quasi-usufruit pourra utilement être mis en place dans le cadre d’un contrat, lequel en définira les contours, comme l’exonération du conjoint de constituer une garantie ou, à l’inverse, l’obligation pesant sur lui d’informer périodiquement le créancier.

Illustration : Mr Kazzi d’Elie est récemment décédé, laissant pour lui succéder Maud-ô, son épouse pour l’usufruit, et d’Eve-ô, leur fille unique pour la nue-propriété. L’actif successoral est uniquement constitué de leur résidence principale et d’un important portefeuille de valeurs mobilières. Si le statut d’usufruitier de Mme Kazzi Maud-ô lui confère la gratuité de son logement et la perspective de le louer ultérieurement, il ne lui accorde qu’un droit aux dividendes et coupons du portefeuille. Ainsi, autant un quasi-usufruit portant sur le bien immobilier pourrait être considéré comme inutile (faute de consomptibilité), voire surtout comme impossible (faute de fongibilité), autant celui portant sur le portefeuille-titres s’avérerait particulièrement opportun pour Maud-ô. Elle pourrait de la sorte consommer comme un « quasi plein propriétaire » le produit de vente des titres, sans avoir à solliciter l’accord de Mlle Kazzi d’Eve-ô, celle-ci se voyant octroyer un droit à restitution, en contre-valeur, à porter au passif de la succession future de sa mère.

 

Un passif fiscal quasi-parfait ?

À condition de se conformer à des précautions d’usage, l’ex-nu-propriétaire pourra faire valoir sa créance dans la succession du quasi-usufruitier. En pratique, le premier étant généralement l’héritier du second, une certaine optimisation ne manquera d’être constatée, de par la diminution sensible de l’assiette taxable.

À ce sujet, on ne saurait que trop conseiller la mise en place d’un protocole de quasi-usufruit par acte notarié, afin de se prémunir efficacement de la présomption fiscale de fictivité relatives aux dettes consenties par un défunt en faveur de ses héritiers. Le montant de la créance de restitution dépassera parfois largement le principe du nominalisme monétaire grâce à l’insertion de clauses dites de subrogation ou de revalorisation (la dette correspondant à la valeur, au jour du décès du quasi-usufruitier, des biens acquis par lui en remplacement) ou d’indexation par référence à un indice adapté à la nature des biens concernés (tel que le CAC 40 pour des actifs financiers, ou le taux EURIBOR pour des actifs monétaires ).

par Maître Julien Trokiner, Notaire à Paris