Icewine au Canada, Eiswein en Autriche, Slovénie et en Allemagne et vin de glace au Québec, au Luxembourg, et en France, il y en a pour tous les noms comme pour tous les goûts dans la hotte vineuse du Père Noël. Mais malgré la multiplication des appellations selon les pays producteurs, c’est un nectar étonnant aux arômes uniques qui reste encore confidentiel dans notre pays, même en Alsace et dans le Jura.

 
En ces temps de réchauffement climatique et de vendanges de plus en plus précoces, il peut paraître à la fois paradoxal, surréaliste mais aussi judicieux et porteur de s’intéresser pour les fêtes de fin d’année et le nouvel an aux vins de glace. Élaboré à partir de raisins vendangé gelés, le vin de glace contient naturellement une forte teneur en sucres résiduels, équilibrée par son acidité. Alchimie fort subtile qui réclame, outre des climats extrêmes, de l’intuition, un bon timing pour la date de vendange, un goût paradoxal du risque (de perdre une partie ou toute la récolte) et une vinification précise à basse température.

 

Un vin rare, cher et peu alcoolisé

Lorsque la gelée propice au vin de glace se produit souvent au beau milieu de la nuit, c’est un véritable branle-bas de combat qui se produit dans certains vignobles septentrionaux. Ainsi, le tocsin retentit vers 2 h du matin dans un petit village autrichien proche de la frontière hongroise. On a attendu deux nuits à -10°C vers la mi-décembre pour commencer la vendange. Les vendangeurs armés de leurs lampes quittent leur lit pour sortir dans le froid rejoindre dare-dare leurs vignobles et vendanger grain par grain les raisins gelés. Il s’agit de ne pas perdre de temps pour récolter à la lumière artificielle les raisins de glace qui ne doivent pas être décongelés pour préserver l’eau retenue dans les paillettes de glace. La course contre la montre continue au petit matin. Le pressurage doit s’effectuer dans la foulée à -12°C afin de garder la glace intacte et de respecter la tradition du vin de glace. L’eau prisonnière sous forme de cristaux de glace reste dans le pressoir à basse température, seule la quintessence du raisin s’écoule pour produire un jus unique qui donnera ce vin rare, donc en principe cher. Ses rendements peinent à atteindre quelques centaines de litres à l’hectare contre 5 à 6 000 pour un vin classique pour la même surface de vignoble. Ce qui explique en partie son prix de 20 à 300 euros pour une demi bouteille (375 ml) de ce nectar venu du froid.

La fermentation du moût en barrique ou cuve inox reste aléatoire, longue et délicate car ralentie par la haute concentration en sucre. Après quelques mois d’élevage, on le met en bouteilles avec un degré en alcool qui dépasse rarement les 10°.

Exception qui confirme la règle, au Canada, l’icewine est élaboré chaque hiver avec d’autres méthodes interdites en Europe car sans réelle tradition historique. La majeure partie du vin de glace canadien porte le label Vintners Quality Alliance (VQA). En janvier 2012, l’Agence canadienne d’inspection des aliments a annoncé officiellement qu’elle souhaitait réglementer le vin de glace produit dans tout le pays. Selon cette nouvelle norme, seules les cuvées élaborées avec des raisins gelés naturellement sur les pieds de vigne auraient droit à l’appellation « vin de glace ». Or, la plupart de producteurs de vin de glace du Québec récoltent plutôt leurs raisins après la tombée des feuilles à l’automne. Ils suspendent ensuite les grappes et les grains dans des filets placés au-dessus des vignes jusqu’à la période du gel. Selon les vignerons québécois, cette pratique originale liée aux conditions de neige ne change rien à la qualité et à l’authenticité de leurs vins et protègeraient les raisins des oiseaux voraces et affamés.

Cette reprise en main s’inscrit dans une politique viticole globale. Les producteurs de vin de glace de Québec négocient depuis plus d’une dizaine d’années avec les vignerons des autres provinces, notamment de l’Ontario et de la Colombie-Britannique où l’on trouve les plus gros producteurs de vins de glace, afin de mettre en place une réglementation nationale des vins. Mais depuis trois ans, l’Agence canadienne d’inspection des aliments s’est emparée du dossier des vins de glace afin d’empêcher la commercialisation de vins de vins de glace frauduleux. Affaire donc à suivre…

 

Le hasard fait parfois bien les choses

Le « vin de glace » est un nectar rare qu’on concocte en France deux à trois fois tous les dix ans à la différence du Canada qui en produit chaque année. Outre une belle concentration en sucre du raisin, la température pour les vendanges doit atteindre -6°C au minimum, idéalement -13°C. Une véritable quête du froid qui n’exclut pas le soleil pour atteindre la parfaite maturation du fruit. La glace enveloppe les baies qui doivent alors être totalement gelées pour prétendre hériter de l’appellation fort recherchée de vin de glace, élixir rare qui se mérite.

Le propre des grands vins, c’est de libérer la parole et de laisser des souvenirs impérissables. Ils s’appuient aussi sur des histoires qui font rêver et forgent des mythes à boire comme la vendange traditionnelle du Pachrenc du Vic Bilh la nuit de la Saint Sylvestre.

Le vin de glace, bel équilibre quasi miraculeux entre le sucré et l’acide, est né par hasard vers la fin du XVIIIe siècle dans la vallée de la Moselle allemande où surpris par des gelées précoces, des vignerons, pris de court par cette météo extrême, ont le bon réflexe de presser des raisins gelés pour tenter de sauver une partie de la récolte. Le premier eiswein a été élaboré à Piesport sans doute à partir du cépage riesling. Aujourd’hui, le site www.vin10vin.com propose à prix attractif pour les fêtes de fin d’année un coffret cadeau Zantho vin de glace eiswein 2009 produit par Josef Umathain, l’un des producteurs les plus importants d’Autriche.

Cette astucieuse initiative viticole allait engendrer une tradition et une demande de vins de glace dans ces pays comme aussi au Canada où Walter Hainle fut le premier à produire du icewine en 1973, avant de commercialiser sa première récolte en 1978. Devenu premier producteur de vins de glace en termes de volume, le Canada en produit chaque année avec le cépage hybride Vidal dans l’Ontario, près des lacs Erié ou Ontario et dans la vallée de la rivière Okanagan en Colombie-Britannique grâce à leur climat particulièrement rigoureux et aussi en petites quantités au Québec. Les grappes de Vidal résistent bien au froid et leurs grains ne tombent pas malgré leur état de mûrissement avancé. On a assez apprécié l’icewine du Niagara, original avec des saveurs de pêche et d’abricot un peu différentes que celle du riesling d’Europe, continent où son importation n’a été autorisée qu’en 2001. On peut en trouver dans des bouteilles de 37, 5 cl pour 50 à 60 dollars canadiens (90 euros) et le conserver pendant 5 ans. À Vinexpo 1991, le domaine Innskillin avec son vin de glace Vidal 1989 a permis au Canada de recevoir son premier prix viticole international.

Malgré un climat moins favorable, quelques vignerons alsaciens perpétuent la tradition de la vallée du Rhin en vins de glace surtout en riesling car il mûrit tardivement, est riche en acidité qui équilibre les hautes concentrations en sucre et donnent des vins qui vieillissent
mieux. Mais on en trouve aussi en cépages gewurztraminer, sylvaner et pinot gris.

Vins de glace, vins, vignoblesSeppi Landmann, figure emblématique du vignoble alsacien en est le fer de lance en produisant des cuvées extraordinaires hiver après hiver. Sa dernière vendange « vin de glace », le vendredi 3 février 2012 au petit matin, par -12°C, a battu le record des vendanges tardives au domaine. Il précise en persistant et signant dans sa démarche de vin de glace : « Contrairement à l’Allemagne, l’Autriche et le Canada, la France ne reconnaît pas officiellement l’appellation « vin de glace ». Aussi très peu de vignerons français se lancent par conséquent dans ce qui apparaît comme une opération risquée et peu rentable. C’est pourquoi notre Domaine est sans doute le seul en France à tenter cette aventure chaque année depuis 1990 (sauf en 2003 en raison de l’extrême précocité de la maturité du raisin). Nous ne sommes d’ailleurs parvenus à nos fins qu’une fois sur deux (en 1990, 1993, 1998, 1999, 2001, 2004, 2005, 2007, 2008, 2009, 2011). Mais le plaisir d’obtenir de temps en temps un vin extraordinaire après des vendanges hors du commun vaut largement le risque encouru ».

Au Domaine Boilley Fremiot, dans le Jura, Sylvie et Luc élaborent avec un soin jaloux un savagnin de gelée 2003 ou 2004 en flacon de 375 ml. La concentration naturelle de cet élixir jurassien réalisé avec un cépage du coin permet d’obtenir un équilibre surprenant entre alcool et acidité, extrait sec, gras et arômes de surmaturité qui en fait un vin de gelée d’exception. La finalité de ce produit rare et pourtant commercialisé au prix attractif de 14 euros est la recherche de la concentration attestée par une certification de l’INAO suite à un contrôle des vignes avant la vendange. La récolte est donc tardive et a lieu après les premières gelées. Mais peut-on parler vraiment de vin de glace ?

Le pressurage est doux et long (24 à 48 h) suivi d’un débourrage enzymatique afin de clarifier le moût. Ce « vin de glace » au cépage autochtone fermente lentement en barriques, puis vieillit pendant trois ans minimum en fûts de chêne avec ouillage.

À notre avis, on peut goûter les meilleurs eiswein dans le Burgenland (Autriche) autour du lac de Neusiedlersee, aux arômes sympathiques de fruits exotiques et de poivre. Ils peuvent se conserver 15 ans et se boivent frais entre 4 et 8°C. Explosion de saveurs uniques et inimitables en bouche avec concentration aromatique et grande finesse. Avec une trame acide très marquée à partir du niveau spätlese (classement des vins selon leur richesse en sucre). Certains de ces nectars aux arômes de fleurs blanches, de pêche et d’agrumes atteignent des prix hallucinants lors des ventes aux enchères comme les vins mythiques d’Egon Muller. Mais quand on aime, même en temps de crise, on ne compte guère, on déguste ces vins rares venus d’ailleurs.

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