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Un W12, 616 chevaux, 325 km/h en pointe. Un résumé, trop bref, de l’incroyable Bentley dont nous avons pris le volant. La Speed concentrerait-elle le meilleur du luxe et de la vitesse ? Peut-être…

 
En 1925, Walter Owen Bentley décide d’inoculer à ses véhicules le virus de la vitesse. Le début des modèles « Speed », d’une histoire glorieuse et héroïque collisionnant prestige et compétition.

Loin d’être anachronique, notre Continental GT Speed Convertible porte, outre la noblesse de son patronyme, les gènes du Grand Sport cheveux au vent.

Point d’esbroufe chez Bentley ! Lorsque l’on nous promet une sportive décapotable, on y met les moyens. Ainsi, Speed Convertible est-elle la quatre places découvrable la plus rapide au monde !

Allons-y tout de go : 202 miles per hour, soit, tenez-vous bien, 325 kilomètres par heure. Paris-Bruxelles en soixante minutes ! Un constat criminel que Bentley se fait une joie de mettre sur le dos du moteur de la Speed. On parle ici d’un W12 ! Douze cylindres, six litres de cylindrée, 48 soupapes, deux turbos, une gestion électronique effectuant 180 millions de calculs individuels par seconde !

Une litanie de chiffres qui se condense en deux valeurs : 616 chevaux, 800 Nm.

Que dire de plus ? Qu’une boîte ZF à huit rapports se charge de transmettre la puissance aux quatre roues ? Certainement. Mais, Bentley dispose de plus de majesté que cela.

Trouver des chevaux est chose aisée, les coordonner au reste d’un véhicule est une autre paire de manches, un défi distinguant tunning et ingénierie. Ainsi, la suspension à air dispose de ressorts et d’amortisseurs plus rigides. Plus basse de dix millimètres, la Speed entend également offrir plus de sensations grâce à des « silent blocs » plus fermes et à des jantes de 21 pouces.

Toujours pour favoriser le dynamisme de conduite, les barres antiroulis ont été affermies et les paramètres d’effort de la direction ont été redéfinis.

Mais l’exercice le plus délicat est certainement de qualifier l’esthétique de cette Speed Convertible. Des chromes un peu plus sombres de la calandre aux sorties d’échappement ovalisées, il faut un œil aguerri pour saisir toute « l’ampleur » des modifications.

Bentley propose néanmoins une définition un peu plus sportive, celle que vous avez sous les yeux. Les détails sont discrets mais nombreux et font la part belle au carbone. Les traditions les plus nobles tirent parfois profit de la modernité la plus criante.

 

La Speed file à l’anglaise

Mon périple débute au petit matin dans un quartier huppé de Berlin. Je m’immisce dans cette flamboyante Speed Convertible, à laquelle cette teinte St-James Red va si bien. La sensation est étrange. J’ai l’impression de pénétrer par effraction dans le boudoir cossu d’une maison bourgeoise.

Non pas que je ne m’y sente à mon aise. Mais tout semble aménagé avec soin par un individu ayant à la fois plus de goût et de talent que moi.

Après avoir décapoté pour profiter d’un soleil timide, je traverse la ville et je tire parti des multiples feux rouges pour me stupéfier du soin apporté à l’habitacle. À titre d’exemple, les glissières des sièges sont parachevées par de jolis butoirs en aluminium brossé. Le soyeux cendrier forgé dans le même métal est sculptural mais doit peser plusieurs kilos…

La mixtion entre un cuir noir de grande qualité, des surpiqûres rouges, une moquette épaisse, l’aluminium et le chrome est on ne peut plus séduisante. Les outrages du luxe sont escamotés, autant que la surenchère de la sportivité. Homogénéité et harmonie, dans les moindres détails, jusque là où personne n’irait poser les yeux.

Berlin est maintenant dans mon dos. Les 625 cheveaux hennissent d’impatience. L’autobahn déroule son tapis de liberté. Le chronographe Breitling a à peine effectué quelques battements et je suis déjà en bande de gauche, transformant la berme centrale en un ruban gris et vert.

160 km/h, chevaux au vent. Une paisible vitesse de croisière, rien de plus. Au-delà, je vous avouerai que l’air frais vient à bout du chauffage de nuque autant que de celui des sièges. Et qui plus est les tourbillons du vent sont rapidement soulants. Vous me direz, à 220 km/h, rouler décapoté n’a plus grand intérêt…

Subitement, des gouttes grosses comme le poing s’écrasent sur le capot.

Je violente les disques en carbone. Ils se vengent sur mes cervicales et stoppent la Bentley en quelques mètres. Une poignée de secondes plus tard, la transmission intégrale fait fuir l’eau qui ruisselle sur la chaussée. Je cruise à nouveau 200 km/h.

En quittant l’autoroute, la Speed me fait découvrir une nouvelle facette de Bentley. Les dynamiciens britanniques ont bien œuvré et la Speed Six de 1929 peut être fière de sa descendance.

La direction, tout en restant onctueuse, gagne en précision, en gestion de l’effort et permet une conduite rapide et sûre. La merveilleuse boîte de vitesses à huit rapports rythme les accélérations, et ponctue chaque changement de rapport d’un délicieux borborygme, en particulier en mode Sport. J’en abuse, d’autant que les longues palettes situées derrière le volant incitent au jeu.

À la volée, j’égrène les rapports, je survole les camions avant de rétrograder, de quatre rapports à la fois, en profitant de toute la puissance du carbone pour aborder rapidement une courbe serrée. Malgré ses 2.495 kilos, la Speed conserve sa trajectoire. Merci à la transmission intégrale 60/40.

La sonorité, les freins, la boîte de vitesses incitent au jeu, comme jamais dans une Bentley. Et le couple de ce moteur est addictif. Impossible de retenir mon pied droit !

 

 

L’exaltation de la vitesse

Puis, c’est la surprise. L’itinéraire tracé par Bentley m’emmène sur l’airfield de Cochstedt. Rappelez-vous, nous testons une Bentley Speed ! Pour une question logistique, je me retrouve au volant d’un coupé Speed. W12 prépare-toi ! L’instructeur m’indique la voie à suivre pour rejoindre une extrémité de la piste.

Mon pied droit déforme l’épaisse moquette. Le W12 souffle, chante, gronde comme un beau diable et la Bentley s’élance comme un Lancaster en période belliqueuse. En 4,4 secondes je suis à 100 km/h. Cinq secondes plus tard, le cap des 160 km/h n’est plus qu’un souvenir. Le paysage défile, le marquage au sol pourrait occire un épileptique.

200, 250, 270, 290… Je cesse d’observer le compteur juste avant le « STOOOP » hurlé par le guide qui fait les frais de ma soif de vitesse.

Un vent fort, une piste en légère côte me priveront de la vitesse maximum. Nous aurions pu essayer ! Le champ de betteraves prolongeant la piste avait l’air accueillant.

Mon trop court galop d’essai se termine par un exercice de freinage en manœuvre d’évitement, avec et sans freins en carbone. Plus que convaincu par leur puissance, leur endurance et la confiance qu’ils apportent au conducteur de ce missile en smoking, je signale qu’une option à 10 000 euros sur un véhicule dont le tarif débute à 190 000 n’a rien de mesquin.

C’est séduit par le conséquent cabriolet que je viens d’essayer que je rejoindrai l’aéroport. Ivre de vitesse, apaisé par le luxe de ce bel objet, je suis convaincu que la Speed est une supercar à part. Sans délaisser l’exclusivité que se doit d’offrir une Bentley, elle dispense suffisamment de dynamisme pour les amateurs de sport tout autant que pour ceux qui aiment à traverser les continents en se mesurant aux horaires des trains à grande vitesse.

Le meilleur des deux mondes ? À n’en pas douter !

Par Julien Libioul – V12 GT