L’Union Européenne veut abolir les frontières qui entravent la libre circulation des capitaux entre ses pays membres. Outre l’ambition de favoriser les investissements transfrontaliers, cette ambition vise surtout à faciliter et diversifier les sources de financement des PME et ETI. Et relancer la titrisation. Le projet, qui doit aboutir en 2019, risque de rencontrer quelques obstacles.

 

Après la libre circulation des hommes et des biens, place à un vaste marché financier : le CMU (Capital Market Union). Stable, fluide, transparent, non exclusivement taillé pour le Big Business et sans frontières : telle est l’ambition de Bruxelles et de Lord Jonathan Hill. Le commissaire européen aux services financiers, à la stabilité financière et à au Marché Unique des capitaux présente ce mois-ci le plan d’action de la Commission Européenne, issu de consultations menées auprès de 700 experts, professionnels et régulateurs dans 28 pays. Car il s’agit de créer toutes les conditions pour que l’épargne de l’UE puisse investir sans frontières, et, in fine, finance davantage la croissance des entreprises ou l’éclosion d’infrastructures plutôt que des déficits publics. Le tout, selon ses promoteurs pour aboutir à un mariage heureux entre croissance de l’économie réelle et stabilité financière. Ce projet n’a rien d’un songe d’une nuit d’été, puisque la route, semée d’embûches, devra avoir été parcourue en 2019.

 

Croissance réelle et Vigueur des marchés financiers sont liés

Il y a surtout urgence à revitaliser l’Europe continentale comme place financière. « On attend de nous de l’ambition et d’aller vite » exposait Lord Hill dans un discours tenu en juin à Bruxelles.

Certes, sur le papier, l’UE en impose avec l’an dernier son marché de cinq cent millions de consommateurs, une capitalisation globale de 50 000 milliards de dollars, comparée à celle des États-Unis (18 000 milliards), du Japon (4 300 milliards) ou de la Chine.

Mais à y regarder de plus près, l’éclat de sa finance s’est singulièrement terni : son poids est revenu en 2013 à 64,5 % du PIB cumulé des 28 états membres, contre 85 % en 2007. Outre Atlantique, ce ratio s’établissait il y a deux ans à 138 %. Et même à 74 % dans l’empire du Milieu. Dix points de plus que dans la Vieille Europe !

Davantage, outre un morcellement entre 28 places de marché, malgré la plate-forme commune d’Euronext (Bruxelles, Paris, Amsterdam), cette donnée révèle de fortes disparités : 121 % et 125 % respectivement au Royaume-Uni et au Luxembourg, contre 15 % en République Tchèque. Au bout du compte, les entreprises les plus durement touchées par la crise se trouvent également dans les pays ou l’industrie financière est la moins développée. Sur ce point, la cause est entendue : là-bas, le financement des investissements demeure l’apanage des réseaux bancaires.

Mais voilà : les récents tsunamis financiers ont montré que ces dernières refermaient immédiatement les cordons de la bourse du crédit aux entreprises pour se re-financer. Pour appuyer le propos de Lord Hill, les services de la Commission avancent deux chiffres aussi concis qu’exhaustifs : en Allemagne seules 13 % des entreprises sollicitant un crédit n’ont pas reçu l’intégralité des fonds demandés. Et 67 % de leurs concurrentes grecques… Il n’en faut pas plus au commissaire européen pour lier la vigueur des marchés financiers à la croissance économique réelle.

 

Orienter l’épargne vers toutes les entreprises

À condition toutefois que l’orientation de l’épargne vers les investissements de toutes les entreprises, et à tous les stades de leur développement, ne soit pas entravée en cours de route. Ce qui suppose de permettre aux investisseurs de sortir de leur pré carré, d’investir au-delà de leur pays d’origine.

Or une étude récente montre que 94 % de ces derniers n’ont jamais franchi le pas, et qu’aujourd’hui, les trois quarts d’entre eux n’en ont pas l’intention. Pour trois raisons : le manque d’informations claires, la méconnaissance de leurs droits, sans oublier… la barrière de la langue. D’où la volonté de Bruxelles de réviser la directive européenne sur le prospectus, pour l’uniformiser de Gibraltar à Riga.

« Il doit remplir complètement sa mission originelle : apporter aux investisseurs toute l’information dont ils ont besoin pour prendre une décision » souligne Lord Hill. D’où l’attente de l’industrie pour des règles plus fluides, voire assouplies, pour des appels au marché de sociétés déjà cotées, pour les jeunes entreprises.

De même, et toujours pour les émetteurs de titres, ce projet de CMU vise également à étendre la palette d’outils financiers à la disposition des entreprises pour financer leur développement, depuis l’amorçage et au-delà de la mise en bourse. Ce qui impose un grand bond en avant du côté du chantier titanesque de l’information sur les sociétés non cotées : les trois quarts d’entre elles ne sont pas notées actuellement.

Quant au financement des plus jeunes, il y a urgence, au vu de l’état du capital risque européen : il y est cinq fois moins développé qu’aux États-Unis. Pire : il est désormais alimenté à hauteur de 40 % par des fonds publics, contre 17 % il y a huit ans. D’où l’annonce d’une révision de la directive EUVECA pour le doper, tant pour y convier davantage d’acteurs, comme ceux du peer-to-peer ou les fonds alternatifs, que pour accroître les projets éligibles.

 

Encourager l’assurance à relayer les banques pour financer l’industrie

Au-delà de l’organisation d’un marché unique des capitaux sans frontières, le projet CMU prend surtout acte de la désertion des banques sur le front du financement des entreprises. Et notamment des sociétés petites et moyennes. La commission ne dit pas autre chose lorsqu’elle parle de diversifier leurs sources de financement. D’où ses appels « fort et clair » en direction de l’assurance pour se saisir du relais. Quitte pour cela à assouplir les règles Solvency II régissant les règles d’investissement et de détention d’actifs du secteur, et plus particulièrement dans le non-coté, comme le demandent certains acteurs du secteur.

Davantage, cette montée en puissance des assureurs et mutuelles contribuerait aussi à la stabilité des marchés financiers, puisque ces dernières visent le long terme quand les bancaires jurent davantage sur les résultats immédiats. Mieux, avec le renfort de telles contreparties, la titrisation plus simple et plus transparente, pourrait revenir pour financer des infrastructures publiques ou privées. Si et seulement si « les investisseurs savent ce qu’ils achètent en toute transparence » martèle le commissaire européen.

 

Vers le retour d’une titrisation plus souple

Des frontières abolies pour la circulation des capitaux, davantage de pistes d’investissement pour des investisseurs mieux protégés et un accès facilité pour les entreprises moyennes : la commission de Bruxelles et les états membres qui l’ont mandaté ne manquent pas d’ambition.

Au risque d’avoir les yeux plus gros que le ventre ? Conscients du risque, Lord King et ses équipes insistent tant sur leur volonté d’aller vite mais graduellement et sur leur volonté de concertation à tous les échelons : leurs réflexions et actions futures n’ont-elles pas fait l’objet de 700 consultations dans les 28 états membres ? Pour le commissaire, il n’est pas question de donner prise au reproche du monstre froid bureaucratique décidant par-dessus les opinions publiques souveraines : « nous entraînerons les gens afin que le CMU se fasse avec eux et non pas par-dessus eux » insiste-t-il. En fait, les principaux obstacles sur la route risquent davantage de se trouver du côté des grandes places financières françaises, européennes ou italiennes, sans doute peu enthousiastes à l’idée de voir émerger de futurs challengers en Scandinavie ou dans l’ex-Europe de l’Est.

Quant aux investisseurs individuels et les entreprises, ils adhéreront à ce projet s’il leur permet de bénéficier d’une véritable libéralisation du secteur financier, à savoir des services et transactions à moindre coût.

Reste une dernière inconnue : l’attitude de la City londonienne qui fascine autant qu’elle fait figure d’épouvantail l’industrie financière du Vieux Continent. Rien ne pourra se faire sans elle malgré la non appartenance du Royaume-Uni à l’euro. Parviendra-t-elle à rééditer le coup réalisé sur le projet de régulation des activités bancaires, à savoir obtenir autant de dérogations aux règles communes sans contreparties ? Un tel scénario, s’il se réalisait, enterrerait cette initiative.

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